L’Université Laurentienne a enfreint la Loi sur les services en français (Le Devoir)

mars 31, 2022

31 mars 2022

L’Université Laurentienne a enfreint la Loi sur les services en français de l’Ontario en supprimant tous les programmes menant à deux diplômes désignés, a conclu la Commissaire aux services en français de l’Ontario, Kelly Burke, dans un rapport d’enquête déposé jeudi.

Étienne Lajoie
Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletLe Devoir
le 31 mars 2022

L’Université Laurentienne a enfreint la Loi sur les services en français de l’Ontario en supprimant tous les programmes menant à deux diplômes désignés, a conclu la Commissaire aux services en français de l’Ontario, Kelly Burke, dans un rapport d’enquête déposé jeudi.

La commissaire a commencé son enquête au mois de juin après avoir reçu 60 plaintes concernant la coupe de 72 programmes, dont 29 en français, à l’université nord-ontarienne. En raison d’une désignation partielle en vertu de la Loi sur les services en français, l’établissement aurait dû s’assurer que ces diplômes puissent être obtenus en français. « Être désigné est un privilège et une grande responsabilité », a souligné Kelly Burke en conférence de presse.

En plus d’enquêter sur les obligations de la Laurentienne, la Commissaire et son équipe se sont aussi penchées sur celles des ministères des Collèges et Universités, et des Affaires francophones. D’après Kelly Burke, ces deux ministères ont fait preuve de « laxisme ». « Les ministères n’ont pas respecté leurs responsabilités d’assurer la protection des services en français à l’université », affirme-t-elle. « C’est inacceptable que trois institutions n’aient pas pris les mesures nécessaires pour se conformer à la Loi sur les services en français », a-t-elle lancé jeudi matin.

Pour sa part, l’université n’a pas consulté ces deux ministères pour discuter de l’impact de ses décisions, « bien qu’elle se soit rendu compte que ses difficultés financières risquaient d’avoir des répercussions sur les programmes menant aux diplômes désignés ». L’enquête a d’ailleurs permis d’apprendre que l’établissement postsecondaire avait coupé 72 programmes et non pas 69, comme l’avait communiqué l’université. De plus, 29 programmes en français ont été supprimés et non pas 28.

 

Une définition qui porte à confusion

Kelly Burke fait aussi état d’une confusion à l’égard de la portée de la désignation de la Laurentienne. Le libellé de la désignation semble indiquer que les programmes menant aux diplômes désignés sont protégés en vertu de la loi, lit-on dans le rapport d’enquête. « Toutefois, les trois organisations visées par l’enquête nous ont indiqué que c’étaient en réalité seulement les diplômes qui étaient protégés », écrit Kelly Burke.

La Commissaire est arrivée à la conclusion que l’université avait enfreint la loi en interprétant la désignation de la manière la plus « étroite », écrit-elle, soit que la désignation ne s’appliquait qu’aux diplômes. Lors d’un entretien dans le cadre de l’enquête, un administrateur de l’établissement postsecondaire a indiqué que la qualité d’un diplôme n’était pas affectée par le nombre de programmes menant à celui-ci. L’affirmation a fait bondir la commissaire. « Ça va complètement à l’encontre de l’esprit de la loi qui cherche à pérenniser les services en français », a-t-elle mentionné en conférence de presse.

Pour éviter la confusion à l’avenir, la Commissaire recommande au ministère des Affaires francophones de communiquer clairement par écrit à la Laurentienne ses obligations et que l’explication soit rendue publique. Il s’agit d’une des 19 recommandations faites dans le rapport.

 

Manquement dans le processus

Les manquements dans les obligations n’ont pas commencé en février, au moment où l’université s’est mise à l’abri de ses créanciers, et ne se limitent pas à l’élimination des deux diplômes. D’abord, le seul programme menant à l’un des diplômes désigné — la Maîtrise en activité physique — a été supprimé en juillet 2020, soit sept mois avant le début de la restructuration, note la commissaire. L’université a soustrait ce service « sans équivoque » en dépit de la désignation.

En vertu de l’article 10 de la Loi sur les services en français, ces changements auraient aussi dû faire l’objet d’une consultation publique et de l’approbation de la lieutenante-gouverneure générale en conseil, indique le rapport d’enquête. « Le fait que l’université n’ait pas suivi les étapes requises dans la LSF avant de supprimer tous les programmes menant à ces diplômes désignés constituait une violation de ses obligations », écrit Kelly Burke.
 


Où étaient les ministères ?

Le ministère des Collèges et Universités a été informé dès décembre 2020 que l’Université Laurentienne envisageait se mettre à l’abri de ses créanciers. À partir de ce moment et jusqu’en avril 2021, des rencontres d’information ont eu lieu entre le ministère et l’établissement, mais les obligations « n’ont pas été discutées » apprend-on dans le rapport.

La Loi sur les services en français n’a pas été abordée dans les échanges officiels entre les deux ministères et l’Université avant le 21 avril 2021 précise le rapport. Des discussions informelles auraient eu lieu en 2021, suggère-t-on dans le document d’enquête, « mais le ministère des Collèges et Universités n’a pas été en mesure de nous fournir de documentation sur le contenu des conversations informelles ».

Le ministère des Collèges et Université, comme les autres ministères du gouvernement, a un coordonnateur des services en français. Ces personnes ont la responsabilité d’obtenir des informations des organismes désignés comme la Laurentienne qui se rapporte à leurs ministères afin d’évaluer leur conformité à la loi. Mais le ministère n’a pas consulté son coordonnateur au sujet de la Laurentienne entre juillet 2020 et avril 2021.

Le ministère des Affaires francophones devrait pour sa part adopter une approche plus proactive de l’application de la Loi sur les services en français, recommande Kelly Burke. Le ministère doit jouer un « rôle de chef de file » en tant qu’organisme expert dans le domaine. En ce moment, « le ministère s’attend à ce que les organismes désignés et les ministères parrains lui signalent tout enjeu de désignation », dit-on dans le rapport.

La commissaire suggère un remaniement « qui va permettre de bien administrer la loi pour faire en sorte qu’on n’aient pas une autre situation semblable ». « Je n’ai jamais eu beaucoup confiance envers le ministère des Affaires francophones et le niveau n’a pas changé », a commenté la députée néodémocrate de Nickel Belt, à l’extérieur de Sudbury.

« J’encourage le ministère des Affaires francophones à exercer du leadership pour s’assurer que les droits linguistiques des francophones soient respectés et protégés en Ontario », écrit Kelly Burke.