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Enquête sur des échanges de courriels entre les membres du Conseil du Canton de Frontenac Islands les 15 et 16 août 2024

Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario

Juillet 2025

Plainte

1    Mon Bureau a reçu une plainte alléguant que les membres du Conseil du Canton de Frontenac Islands (le « Canton ») ont contrevenu à la Loi de 2001 sur les municipalités[1] (la « Loi ») en s’échangeant des messages informels par courriel le 16 août 2024.

2    Mon enquête a révélé qu’un quorum de membres du Conseil a discuté par courriel les 15 et 16 août 2024. Ces courriels ont fait avancer de façon importante les travaux ou la prise de décision du Conseil, et constituaient donc des « réunions » tenues en contravention à la Loi.

Compétence de l’Ombudsman

3    La Loi dispose que toutes les réunions d’un conseil ou d’un conseil local et de leurs comités doivent être ouvertes au public, sauf si les exceptions prévues par la Loi s’appliquent.

4    Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde à quiconque le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité ou un conseil local a respecté ou non la Loi en se réunissant à huis clos. La Loi fait de l’Ombudsman l’enquêteur par défaut pour les municipalités qui n’ont pas désigné le(la) leur.

5    L’Ombudsman enquête sur les réunions à huis clos du Canton de Frontenac Islands.

6    Lorsque nous enquêtons sur des plaintes concernant des réunions à huis clos, nous cherchons à savoir si les exigences relatives aux réunions publiques énoncées dans la Loi et le règlement de procédure municipal ont été respectées.

7    Depuis 2008, mon Bureau a enquêté sur des centaines de réunions à huis clos. Pour aider les conseils municipaux, le personnel municipal et le public, nous avons créé un recueil en ligne des cas de réunions publiques. Ce recueil interrogeable vise à permettre aux intéressé(e)s d’accéder facilement aux décisions de l’Ombudsman et à ses interprétations des règles des réunions publiques. Les membres du Conseil et le personnel peuvent consulter ce recueil pour éclairer leurs discussions et leurs décisions afin de déterminer si certaines questions devraient ou pourraient être discutées à huis clos, ainsi que pour examiner les questions liées aux procédures des réunions publiques. Des résumés des décisions antérieures de l’Ombudsman sont consultables dans ce recueil : www.ombudsman.on.ca/fr/pour-le-secteur-public-et-les-elues/gouvernement-municipal/recueil-des-cas-reunions-municipales.

8    L’Ombudsman de l’Ontario est également habilité à réaliser des examens et enquêtes impartiaux concernant des centaines d’organismes publics. Cela comprend les municipalités, les conseils locaux et les sociétés contrôlées par des municipalités ainsi que les organismes gouvernementaux provinciaux, les universités financées par les fonds publics et les conseils scolaires. Il peut aussi examiner les plaintes sur les services fournis par les sociétés d’aide à l’enfance et les titulaires de permis d’un foyer, et sur les services en français fournis aux termes de la Loi sur les services en français. Pour en savoir plus sur les organismes relevant de notre Bureau : www.ombudsman.on.ca/fr/se-plaindre/en-quoi-peut-aider/contre-qui-deposer-plainte.

Processus d’enquête

9    Le 15 octobre 2024, mon Bureau a informé le Canton de son intention d’enquêter sur la plainte.

10    Les membres de l’équipe de mon Bureau chargée des réunions publiques ont examiné les échanges de courriels en cause entre les membres du Conseil les 15 et 16 août 2024, ainsi que les documents de réunion, et visionné l’enregistrement vidéo de la séance publique de la réunion du Conseil du 13 mai 2024. Nous avons rencontré la directrice générale (DG) et greffière, de même que les cinq membres du Conseil.

11    Mon Bureau a obtenu une pleine coopération pendant son enquête.

Réunion du Conseil du 13 mai 2024 et résolution de demande de délégation pour le congrès de l’AMO

12    À sa réunion du 13 mai 2024, le Conseil a discuté d’un rapport du personnel préparé par la DG et greffière dans lequel il était recommandé de présenter une demande de délégation pour le prochain congrès de l’association des municipalités de l’Ontario (AMO). Les délégations permettent aux fonctionnaires municipaux(ales) de discuter avec des ministres provinciaux(ales) et leur personnel de questions touchant leur municipalité.

13    Le Conseil a voté une résolution afin que le personnel présente des demandes de délégation au ministère des Transports pour discuter des traversiers, au ministère de l’Infrastructure pour parler des routes et au ministère de la Santé pour traiter des services paramédicaux et de la [TRADUCTION] « désignation de municipalité rurale, éloignée et isolée »[2]. Notre Bureau a appris qu’un conseiller et la mairesse seraient de la délégation pour la rencontre avec le ministère de la Santé. Le conseiller allait expressément demander la reprise des services paramédicaux à Wolfe Island, et la mairesse, la désignation de municipalité rurale et éloignée pour que le Canton puisse obtenir des fonds pour l’embauche d’un(e) infirmier(ère) praticien(ne) à sa clinique.

Premier échange de courriels

14    Le 15 août 2024, la DG et greffière a envoyé un courriel à l’ensemble des membres du Conseil, y joignant la lettre de délégation adressée à la ministre de l’Infrastructure concernant les routes et la lettre de délégation adressée à la ministre de la Santé à propos des services paramédicaux.

15    La mairesse a répondu par courriel à la DG et greffière ainsi qu’au conseiller qui l’accompagnerait, indiquant que les services paramédicaux n’étaient pas le seul problème qu’elle et le conseiller allaient l’un et l’autre soulever auprès de la ministre de la Santé. La DG et greffière a ensuite envoyé un courriel à la mairesse pour demander une lettre de délégation distincte pour les autres problèmes dont elle voulait parler à la ministre de la Santé afin de transmettre ce document aux autres membres du Conseil pour connaître leur avis. La DG et greffière a dit à mon équipe que ce courriel visait à obtenir l’approbation de la lettre de délégation par le Conseil.

16    Après avoir reçu la lettre de délégation de la mairesse, la DG et greffière a mis les autres membres du Conseil en copie conforme dans un message auquel elle a joint la nouvelle lettre adressée à la ministre de la Santé, demandant s’il y avait des suggestions de changements à apporter.

17    Trois conseiller(ère)s ont répondu à la DG et greffière en incluant les autres membres du Conseil dans l’échange. Ils(elles) donnaient leur avis sur la personne qui serait responsable de la délégation auprès de la ministre de la Santé et sur la division du temps entre la mairesse et le conseiller qui l’accompagnerait. La mairesse a répondu à l’ensemble des membres du Conseil et à la DG et greffière pour manifester son désaccord avec les courriels des conseiller(ère)s.

Deuxième échange de courriels

18    Le 16 août 2024, la DG et greffière a envoyé un courriel à l’ensemble des membres du Conseil avec la version finale de la lettre de délégation adressée à la ministre de la Santé par la mairesse. Elle a indiqué dans son message que si la lettre était jugée correcte par les membres du Conseil, celle-ci serait envoyée à la ministre.

19    Dans l’échange de courriels qui s’est ensuivi, chaque conseiller(ère) a répondu à tous(tes) pour donner son avis sur la lettre et le rôle de la mairesse dans la délégation. Par exemple, un conseiller a écrit qu’il préférait que la lettre ne soit pas envoyée, demandant à la mairesse de répondre. Un autre a aussi écrit ne pas être d’accord avec l’envoi de la lettre.

Analyse

Le quorum des membres du Conseil était atteint lors des discussions par courriel les 15 et 16 août 2024

20    Selon le paragraphe 238(1) de la Loi, on entend par « réunion » une réunion ordinaire, extraordinaire ou autre d’un conseil municipal, d’un conseil local ou d’un comité de l’un ou de l’autre, au cours de laquelle, à la fois « le quorum est atteint et les membres discutent ou traitent autrement d’une question d’une manière qui fait avancer de façon importante les travaux ou la prise de décision du conseil ou du comité »[3].

21    Cette définition exige la présence d’un quorum de membres à une réunion.

22    Des modifications apportées à la Loi en 2020 permettent aux membres d’un conseil de compter dans le quorum quand ils(elles) participent à une réunion par voie électronique[4]. Mon Bureau a déjà jugé qu’aux fins d’une réunion électronique, le « lieu » est électronique[5] et les membres peuvent être [TRADUCTION] « présent(e)s » lorsqu’ils(elles) se réunissent de façon virtuelle pour discuter des travaux et les faire avancer.

23    Dans un rapport au Canton de The North Shore, j’ai décidé que quand des membres du Conseil s’échangent des communications électroniques comme des messages textes, ils(elles) sont présent(e)s dans un lieu électronique, et cela satisfait à l’exigence de présence énoncée par la Loi dans la définition de « réunion ». Dans cette affaire, un quorum des membres du Conseil avait discuté en groupe par messages textes[6].

24    En l’espèce, il y a eu échange de courriels entre les membres du Conseil. Les courriels sont une forme de communications électroniques semblables aux messages textes. Par conséquent, lorsque des membres du Conseil s’échangent des courriels, ils(elles) sont présent(e)s dans un lieu électronique.

25    Le Conseil du Canton de Frontenac Islands se compose d’un(e) maire(sse) et de quatre conseiller(ère)s. Les membres du Conseil se sont échangés des courriels à deux occasions, soit les 15 et 16 août 2024. La totalité d’entre eux(elles) a fait partie de l’échange à un moment ou à un autre. Même si certains courriels n’incluaient pas tout le groupe au début du premier échange le 15 août, les messages ont fini par être transmis à l’intégralité du Conseil.

26    Pour cette raison, le quorum a été atteint, ce qui satisfait à la première partie de la définition de « réunion » prévue dans la Loi.

Les courriels ont fait avancer de façon importante les travaux et la prise de décision du Conseil

27    Le deuxième critère pour savoir si une réunion a eu lieu tient au fait que le Conseil a fait avancer de façon importante ses travaux ou sa prise de décision. Mon Bureau a déclaré que pour interpréter l’expression « fait avancer de façon importante », il faut examiner dans quelle mesure les discussions ont fait avancer les travaux de la municipalité, en fonction d’indicateurs factuels[7].

28    Bien que les simples mises à jour sur des activités récentes, ou la communication d’information, ne sont pas susceptibles de faire avancer de façon importante les travaux ou la prise de décision, mon Bureau a déjà déterminé que « les votes, les accords, les directives ou les commentaires du personnel, et les discussions ou les débats sur une proposition, une mesure d’action, ou une stratégie sont susceptibles de faire avancer de manière importante les travaux ou la prise de décision »[8].

29    Les conseiller(ère)s que nous avons rencontré(e)s nous ont dit que les courriels n’ont pas fait avancer de manière importante les travaux de la municipalité parce qu’aucune décision n’a été prise et que les messages visaient à faire le suivi sur la résolution du Conseil concernant les demandes de délégation pour le congrès de l’AMO.

30    Les mises à jour ou la communication d’information sont généralement peu susceptibles de faire avancer de manière importante la prise de décision. En l’espèce, toutefois, les discussions par courriel étaient plus qu’un simple suivi sur la résolution du 13 mai 2024. Dans son courriel, la DG et greffière demandait l’avis du Conseil et l’approbation de la lettre de délégation à la ministre de la Santé. Les membres du Conseil ont débattu, par courriel, de la nature de la délégation ainsi que du contenu de la lettre et de la question de son envoi. Ces discussions ont été importantes à la prise de décision du Conseil concernant l’approbation et l’envoi de la lettre. Par exemple, deux conseillers avaient dit par courriel, dans une réponse à tous(tes), qu’ils s’opposaient à l’envoi de la lettre.

31    Puisque les courriels portaient sur les travaux du Conseil et que les conseiller(ère)s se sont exprimé(e)s sur l’approbation et l’envoi de la lettre de délégation, les courriels ont fait avancer de manière importante les travaux du Conseil. Par conséquent, ils entrent dans la définition de « réunion » prévue dans la Loi.

Avis

32    Mon enquête a révélé que le Conseil du Canton de Frontenac Islands a contrevenu à la Loi de 2001 sur les municipalités lorsqu’un quorum de ses membres, par courriel les 15 et 16 août 2024, a tenu des discussions informelles qui ont fait avancer de façon importante les travaux ou la prise de décision du Conseil.

Recommandations

33    Je fais les recommandations suivantes pour aider le Canton de Frontenac Islands à s’acquitter des obligations qui lui incombent selon la Loi et à accroître la transparence de ses réunions :

Recommandation 1

Les membres du Conseil du Canton de Frontenac Islands devraient demeurer vigilant(e)s dans l’exercice de leur obligation individuelle et collective de s’assurer que le Canton remplit ses responsabilités prévues par la Loi de 2001 sur les municipalités.

Recommandation 2

Le Conseil du Canton de Frontenac Islands devrait veiller à ce que ses travaux et sa prise de décision n’avancent pas de façon importante en dehors de ses réunions officielles, y compris au moyen de communications électroniques comme les courriels.

Recommandation 3

Le Conseil du Canton de Frontenac Islands devrait être attentif au fait que l’échange de communications électroniques, comme les courriels, par un quorum de ses membres pourrait constituer une réunion aux termes de la Loi de 2001 sur les municipalités.

Recommandation 4

Le Conseil du Canton de Frontenac Islands devrait faire preuve de prudence lorsqu’il recourt aux communications électroniques et éviter d’y faire avancer de manière importante ses travaux ou sa prise de décision.

Rapport

34    Le Conseil du Canton de Frontenac Islands a pu examiner une version préliminaire du présent rapport et la commenter pour mon Bureau. Le présent rapport définitif a été rédigé à la lumière de tous les commentaires que nous avons reçus.

35    Le présent rapport sera publié sur le site Web de mon Bureau et devrait aussi être rendu public par le Canton. Conformément au paragraphe 239.2(12) de la Loi de 2001 sur les municipalités, le Conseil doit adopter une résolution indiquant comment il entend y donner suite.


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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario

[1] L.O. 2001, chap. 25.
[2] Canton de Frontenac Islands, résolution 099-24 (13 mai 2024).
[3] Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, paragraphe 238(1).
[4] Ibid., paragraphes 238(3.1) et (3.3).
[5] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des plaintes à propos de réunions tenues par le conseil du Canton de McKellar les 24 août et 31 août, le 9 septembre 2021 et le 12 avril 2022, (janvier 2023), paragraphe 48, en ligne.
[6] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des rencontres informelles tenues par le Conseil du Canton de The North Shore le 20 mars 2024 et entre le 21 mars et le 25 mars 2024, (février 2025), en ligne.
[7] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une plainte à propos d’une rencontre tenue par les membres du conseil de la Municipalité de Casselman le 27 mai 2021, (août 2022), paragraphe 26, en ligne.
[8] Ibid., paragraphe 27.