Pris au piège de la Loi

Pris au piège de la Loi

décembre 7, 2010

7 décembre 2010

Enquête sur la conduite du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels relativement au Règlement de l’Ontario 233/10 adopté en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics.

Enquête sur la conduite du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels relativement au Règlement de l’Ontario 233/10 adopté en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics

« Pris au piège de la loi »

André Marin
Ombudsman de l'Ontario

décembre 2010

 

Contributeur(trice)s

Directeur Équipe d’intervention spéciale de l’Ombudsman (EISO)

  • Gareth Jones

Enquêteuse principale

  • Domonie Pierre

Enquêteur(euse)s

  • Adam Orfanakos
  • Rosie Dear
  • Mary Jane Fenton
  • Ciaran Buggle
  • Grace Chau
  • Elizabeth Weston

Agent(e)s de règlement préventif

  • Maggie DiDomizio
  • Lorne Swartz

Avocate générale

  • Laura Pettigrew

Table des matières



 

Sommaire

       Le Règlement 233/10, adopté pour renforcer la sécurité lors du sommet du G20, n’aurait jamais dû être édicté. Il était probablement inconstitutionnel. Maintenant abrogé, le Règlement 233/10 a eu pour effet d’enfreindre la liberté d’expression de façons qui ne semblent pas justifiables dans une société libre et démocratique. Plus précisément, l’adoption de ce Règlement a permis d’appliquer les pouvoirs policiers extravagants qui sont énoncés dans la Loi sur la protection des ouvrages publics, notamment le droit d’arrêter et de détenir arbitrairement les individus et de faire des fouilles et des saisies déraisonnables. Même sans invoquer la Charte des droits et libertés, la légalité du Règlement 233/10 est douteuse. La Loi sur la protection des ouvrages publics, en application de laquelle il a été promulgué, autorise la création de règlements pour protéger l’infrastructure, et non pas pour assurer la sécurité des individus durant des événements. Le Règlement 233/10 était donc probablement non valable puisqu’il a outrepassé le cadre de la Loi en vertu de laquelle il a été adopté. Ces problèmes auraient dû clairement ressortir et, en raison des énormes pouvoirs que le Règlement 233/10 accordait à la police, les autorités auraient dû s’interroger lucidement et consciencieusement pour savoir s’il était approprié d’armer les policiers de tels pouvoirs. Elles n’en ont rien fait. La décision du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels d’appuyer ce Règlement était déraisonnable.

2        Même si le Règlement 233/10 avait été valable, le gouvernement aurait dû mieux agir lors de son adoption. Le Règlement 233/10 a changé les règles du jeu. Il a donné à la police des pouvoirs inhabituels dans une société libre et démocratique. Des mesures auraient dû être prises pour s’assurer que le Service de police de Toronto comprenne les pouvoirs qui lui étaient donnés. Plus encore, l’adoption de ce Règlement aurait dû faire l’objet d’une campagne d’information proactive, au lieu d’être uniquement annoncée par des voies officielles obscures. Perversement, en changeant les règles du jeu sans réel préavis, le Règlement 233/10 s’est avéré un piège pour les personnes qui avaient le sens des responsabilités – c’est-à-dire pour celles qui avaient pris le temps de se renseigner sur les pouvoirs de la police avant d’aller exprimer leur désaccord politique légitime.

3        Tout ceci est un bien triste legs. L’intérêt d’accueillir un sommet international, pour la nation hôte, est de pouvoir se faire valoir aux yeux du monde. D’ordinaire, l’Ontario et le Canada peuvent fièrement montrer la majesté d’une société libre et démocratique. Ce que l’Histoire retiendra suite à l’adoption et à l’application du Règlement 233/10 est que nous n’y sommes guère parvenus lors de cet événement.

 

***

 

4        Dave Vasey, étudiant en maîtrise à l’Université York, n’avait jamais entendu parler de la Loi sur la protection des ouvrages publics avant le jeudi 24 juin 2010, à 16 heures. En fait, cette Loi était probablement le secret le mieux gardé de l’histoire législative de l’Ontario. Et pourtant, elle n’était aucunement secrète. Depuis plus de 70 ans, elle dormait dans les livres de loi de l’Ontario, poussiéreuse relique de la Seconde Guerre mondiale et véritable bombe à retardement qui n’attendait qu’à exploser sur le terrain des droits civils. M. Vasey ignorait certainement tout aussi du Règlement 233/10 pris en application de cette Loi, afin de donner des bases légales supplémentaires au périmètre de sécurité mis en place pour le sommet du G20. Tout comme la Loi sur la protection des ouvrages publics, le Règlement 233/10 était caché, bien en vue de tous. Il a été annoncé non pas dans les journaux, par des messages d’intérêt public, ni même sur les sites Web du Ministère et de la police, mais dans la base de données des Lois-en-ligne du gouvernement, très peu connue et très peu consultée. Puis il est paru dans La Gazette de l’Ontario, une publication qui n’a d’intérêt que pour les fonctionnaires, les personnalités haut placées et à l’occasion quelques avocats. Mais M. Vasey allait bien vite faire connaissance de manière très personnelle et très intime avec la Loi sur la protection des ouvrages publics et le Règlement 233/10.

5        Comme bien des Torontois, M. Vasey et l’un de ses amis étaient intrigués par l’imposante clôture de sécurité gris acier que les autorités érigeaient dans les rues du centre-ville. Ce jour-là, quand ils se sont approchés de cette clôture pour la voir de plus près, après avoir participé à une manifestation pacifique, ils ont été interpellés et questionnés par la police. Invoquant ce qu’il croyait être ses droits, M. Vasey a refusé de s’identifier. Il a alors été arrêté en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics. Au moins une autre personne a été détenue et accusée en vertu de cette Loi, en rapport avec la sécurité du sommet du G20, et beaucoup d’autres ont été interrogées et fouillées sous couvert des vastes pouvoirs conférés par cette Loi, et rendus applicables par le Règlement 233/10.

6         Bon nombre des personnes interpellées et questionnées par la police en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics durant la semaine de l’avant-sommet et lors du sommet du G20 étaient des manifestants, mais beaucoup aussi étaient de simples Torontois qui vaquaient à leurs occupations quotidiennes. L’un d’eux était Rob Kittredge, qui exerçait le droit tout juste en dehors de la zone de sécurité. Un soir, quand il est allé prendre des photographies de la zone de sécurité, avant le sommet, la police l’a fouillé, a examiné ses photos et a prétendu être en droit de le « bannir » de cette zone en vertu de la Loi. Nancy Ryan[1] rentrait chez elle après avoir fait ses courses d’épicerie, en dehors du périmètre de sécurité, quand la police s’est approchée d’elle et a demandé à fouiller ses sacs.

7        Ce n’est pas que le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels n’ait pas voulu bien faire en appuyant le recours à cette Loi, par le biais du Règlement 233/10, pour aider le Service de police de Toronto à assurer la sécurité durant le sommet. En règle générale, les sommets mondiaux donnent lieu à des manifestations, qui peuvent être violentes, voire mortelles. De plus, les dirigeants de la planète sont la cible de menaces terroristes. Mais les mesures de sécurité requises pour protéger les dignitaires étrangers et le public doivent être évaluées par rapport aux droits ancrés dans la constitution. Manifester est un droit démocratique. Les citoyens ontariens étaient libres de s’exprimer, sans s’exposer à des fouilles déraisonnables et à des arrestations arbitraires, durant le sommet du G20. Malheureusement, en ce qui concerne le Règlement 233/10, le Ministère n’a pas su trouver l’équilibre.

8        La promulgation du Règlement 233/10 a déclenché l’application de la Loi sur la protection des ouvrages publics, qui confère des pouvoirs inhabituels, voire extravagants, à la police, pouvoirs qui pouvaient être utilisés – et ont en fait été utilisés – pour intimider et arrêter des gens qui ne faisaient aucun mal. En désignant comme « ouvrages publics » les ouvertures dans le périmètre de sécurité et en confirmant le droit d’appliquer pleinement les pouvoirs conférés par la Loi dans la zone extérieure de sécurité, des obligations légales extraordinaires ont été imposées aux citoyens qui cherchaient à y entrer. Un nouveau terrain a été défini, où les gens étaient contraints de s’identifier et d’expliquer pourquoi ils voulaient entrer, parfois même par écrit, et étaient obligés de se laisser fouiller sans mandat. Même si les gens se voyaient refuser le droit d’accès, changeaient d’avis et voulaient repartir, ils restaient tenus de s’identifier, de répondre aux questions de la police et de se laisser fouiller. En cas de refus, ils pouvaient être arrêtés, accusés et emprisonnés.

9        Le seul moyen de comprendre pourquoi l’Assemblée législative de l’Ontario a créé une loi conférant de tels pouvoirs policiers est de se pencher sur l’Histoire. La Loi sur la protection des ouvrages publics est une mesure de guerre. Elle a été promulguée en 1939, lors d’une session d’urgence de l’Assemblée législative dans les jours qui ont suivi la déclaration de guerre à l’Allemagne, pour parer aux menaces de sabotage de l’infrastructure de l’Ontario. Les gardiens et les agents de la paix ont alors obtenu le type de pouvoirs qui semblent justifiés en temps de guerre ou en état d’urgence – le type de pouvoirs qui bousculent les droits constitutionnels et qui peuvent même aller jusqu’à les transgresser. Et pourtant, en 2010, la province de l’Ontario a conféré aux policiers, en temps de paix, des pouvoirs faits pour les temps de guerre. Cette décision n’aurait certes pas dû être été prise à la légère, surtout pas à notre époque, maintenant que nous avons la Charte canadienne des droits et libertés.

10     En fait, la validité constitutionnelle du Règlement 233/10 était douteuse. En créant des zones de sécurité interdites et en autorisant les arrestations, ce Règlement imposait de réelles limites à la liberté d’expression. C’était donc une violation prima facie de la Charte, en termes juridiques, de manière probablement non justifiable sur le plan constitutionnel. Le Règlement 233/10 avait pour rôle de permettre l’application des pouvoirs édictés dans la Loi sur la protection des ouvrages publics, autorisant ainsi la police à arrêter et à faire taire les manifestants et d’autres qui ne faisaient aucun mal. Les répercussions du Règlement 233/10 sur la liberté d’expression étaient donc fort certainement disproportionnées. Le gouvernement aurait dû prendre garde et, au lieu de se fier à une Loi dont la validité constitutionnelle était douteuse, il aurait dû régler la question ouvertement à l’Assemblée législative.

11     Même exclusion faite de la Charte, tout porte à croire que ce Règlement était illégal. Il est aussi presque certain que le gouvernement n’était pas en droit de le décréter. La Loi sur la protection des ouvrages publics, de par son titre et de par ses termes, a été promulguée pour protéger les biens publics. Rien dans la Loi sur la protection des ouvrages publics n’autorise le gouvernement à adopter un règlement pour protéger les individus, plutôt que les lieux. Rien dans la Loi ne lui permet non plus de conférer davantage de pouvoirs à la police pour veiller à la sécurité des personnes sous protection internationale. Il se peut qu’une loi s’avère souhaitable en ce sens, et il se peut que la Loi sur la protection des ouvrages publics ait été utilisée dans les meilleures intentions, mais elle a servi d’instrument et a été appliquée inutilement. Même sans cette Loi, le périmètre de sécurité qu’elle couvrait aurait été légal. De plus, la common law et le pouvoir statutaire des agents de la paix auraient amplement suffi à contrôler les personnes susceptibles de représenter un danger pour les participants au G20 et à leur interdire l’accès à la zone de sécurité. Bref, le Règlement 233/10, d’une légalité douteuse, était tout à fait inutile. Il a été déraisonnable pour le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de promouvoir son adoption.

12     Les problèmes posés par le Règlement 233/10 au Ministère ne proviennent pas simplement de son adoption. Le suivi que le Ministère a fait à propos du Règlement et la manière dont il l’a communiqué se sont révélés inadéquats.

13     Quand le Règlement a été adopté, le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels comptait simplement appliquer la Loi dans la zone délimitée par la clôture extérieure de sécurité érigée autour du périmètre d’accès interdit accueillant les dignitaires étrangers. Mais une fois réveillé, le volcan endormi a échappé à tout contrôle. Le Ministère a été pris de court quand le Service de police de Toronto a fait erreur sur les limites de la zone de sécurité désignées en vertu du Règlement 233/10 et quand il a invoqué la Loi sur la protection des ouvrages publics pour arrêter des gens qui se trouvaient tout simplement aux abords du périmètre de sécurité. De plus, durant toute la fin de semaine du sommet du G20, la police a exercé les pouvoirs que lui conférait la Loi bien au-delà des limites du périmètre de sécurité, même après rectification de l’erreur d’interprétation faite par le chef de la Police de Toronto quant à ces limites.

14     Bien sûr, le gouvernement de l’Ontario n’est pas responsable des erreurs de sens commises par des dirigeants de la police. Mais les pouvoirs dûment conférés par le Règlement 233/10 étaient excessifs et outrepassaient grandement la compréhension qu’ont généralement les citoyens ontariens de leurs rapports avec la police. Le Ministère, qui avait promu ce Règlement, aurait dû s’assurer que les agents du Service de police de Toronto en comprenaient le sens et avaient reçu la formation nécessaire pour l’appliquer. Il n’en a rien fait. Le Ministère a tout simplement donné au Service de police de Toronto des pouvoirs démesurés, sans faire le moindre effort pour s’assurer que ces pouvoirs ne seraient pas mal interprétés.

15     Chose encore plus importante, il était tout à fait déraisonnable et injuste que le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels laisse le Règlement 233/10 filer sous le radar, comme il l’a fait. Personne n’était au courant de ce Règlement avant la propagation éclair de la nouvelle de l’arrestation de M. Vasey en vertu de cette Loi. Ni le public, ni la presse, ni les administrateurs de la ville où ce Règlement allait être appliqué n’en avaient connaissance. Étonnamment, comme l’a révélé notre enquête, même le chef du comité directeur du Groupe intégré de la sécurité (GIS) et les membres clés de l’Équipe de communications et d’affaires publiques du GIS pour le G20 n’étaient pas informés de ce Règlement. Alors que les autorités municipales de Toronto faisaient tout leur possible pour aviser le public des plans de circulation routière pour le G20, pas le moindre mot n’était soufflé sur le fait que les policiers allaient disposer de pouvoirs extraordinaires de contrainte et d’arrestation. Les dirigeants municipaux n’en ont pas informé les citoyens pour la même raison qui a incité M. Vasey à ne pas se plier aux ordres de la police le 24 juin 2010 : ils n’en savaient tout simplement rien du tout. Le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels n’a rien fait pour s’assurer que les gens soient informés de ces pouvoirs policiers et pour qu’ils puissent décider de leur conduite en toute connaissance de cause. À l’exception de quelques initiés au gouvernement de l’Ontario, seuls les membres du Service de police de Toronto savaient que les règles du jeu avaient changé et qu’ils avaient maintenant en main les cartes « Allez directement en prison ».

16     À tous les égards, un règlement conférant des pouvoirs temporaires à la police et imposant des obligations inhabituelles aux citoyens était tout à fait inattendu. Par contre, il fallait s’attendre à une chose : dans un climat incendiaire de protestation créé par un événement politique international, les gens allaient remettre en question et même mettre à l’épreuve les limites des pouvoirs policiers. La prudence, à elle seule, aurait dû inciter les responsables à annoncer très publiquement ce Règlement, pour réduire les risques de confrontation inutiles. Cela n’a pas été fait.

17     En changeant ainsi les règles de la légalité, sans tambour ni trompette, le Règlement 233/10 a tendu un piège à ceux et à celles qui ont cru en leurs droits légaux habituels. Fort raisonnablement, les groupes de défense avaient avisé les manifestants de leurs droits lors de séances d’information. Sur leurs sites Web et dans leurs dépliants, ils avaient annoncé que les gens n’auraient pas à s’identifier ou à se laisser fouiller, sauf en cas d’arrestation. Pourtant, en vertu du très discret Règlement 233/10, le refus de s’identifier à l’approche de la zone de sécurité allait constituer une infraction pour les manifestants. Il est sage de veiller à ce que les manifestants connaissent leurs droits et les limites de ces droits. Mais ceux et celles qui ont tenté de s'en assurer se sont fait avoir : ils se sont retrouvés pris au piège invisible de la Loi, tout comme les personnes qu’ils avaient conseillées.

18     Vu les questions soulevées par sa validité et sa légalité constitutionnelles, le Règlement 233/10 aurait dû être mis à l’épreuve de la justice – pas après avoir pris fin et avoir joué son rôle, mais avant même d’être appliqué. Il est profondément regrettable qu’on ne puisse contester que bien trop tard les tactiques utilisées par la police pour contrôler les manifestants – c’est-à-dire une fois que ces tactiques ont donné les résultats visés. Pour parvenir à un juste équilibre entre les droits civils et la sécurité, le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels aurait dû s’assurer que quiconque souhaite contester les plans de sécurité puisse le faire. Le ministère a promu ce Règlement. Il aurait dû se prononcer à ce sujet et veiller à ce que les intéressés connaissent son existence.

19     Je suis donc d’avis que le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a promu un règlement légalement douteux, qui conférait aux policiers des pouvoirs inutiles d’une constitutionnalité douteuse. Il a été déraisonnable pour le Ministère d’agir ainsi. De plus, il a été déraisonnable et injuste de la part du Ministère de ne pas s’assurer que les citoyens de cette province soient informés des pouvoirs policiers hautement exceptionnels ainsi conférés.

20     Le gouvernement a annoncé que la Loi sur la protection des ouvrages publics ferait l’objet d’un réexamen, en consultation avec les groupes intéressés. C’est un pas dans la bonne direction. J’ai recommandé que, dans le cadre de cet examen, le Ministère prenne des mesures pour réviser ou remplacer cette Loi. S’il veut être en droit de désigner des zones de sécurité pour protéger les individus, le Ministère devrait envisager de créer une loi consolidée qui puisse non seulement servir à protéger les ouvrages publics mais aussi à conférer clairement l’autorité directe d’assurer la sécurité des individus durant les événements publics, le cas échéant. L’étendue des pouvoirs conférés à la police par cette loi devrait également être considérée. Il faudrait notamment voir s’il est approprié d’autoriser la police à arrêter les personnes à qui elle a déjà interdit l’accès aux zones de sécurité, et d’autoriser les gardiens et les agents de la paix à faire des témoignages concluants, vrais ou faux, à propos de l’emplacement des périmètres de sécurité.

21     J’ai aussi recommandé que le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels élabore un protocole prévoyant la tenue de campagnes d’information publique quand les pouvoirs policiers sont modifiés par des mesures législatives subordonnées, surtout dans un contexte de manifestations.

22     Le 1er novembre 2010, le Ministre a confirmé, au nom du gouvernement, son engagement sans équivoque à donner suite à mes recommandations en temps opportun. Je suis satisfait de la réponse du Ministre à mes recommandations et je suivrai de près les progrès accomplis par le Ministère dans leur mise en œuvre.

 

Assurer la sécurité du sommet

23     Le 19 juin 2008, le premier ministre Stephen Harper a annoncé que Huntsville, en Ontario, accueillerait le sommet du G8 en 2010 – sommet qui réunirait les dirigeants de huit des plus puissants pays de la planète pour discuter des problèmes mondiaux. Puis à l’automne 2009, le premier ministre a fait savoir que le Canada serait l’hôte du sommet du G20 en 2010, à l’occasion duquel les chefs de 19 pays et de l’Union européenne, ainsi que des représentants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, se retrouveraient pour débattre des questions de finances internationales. Le premier ministre a déclaré que cet événement se déroulerait à Toronto. Après avoir considéré divers autres lieux possibles – entre autres Exhibition Place, premier choix de la Ville de Toronto –, le gouvernement fédéral a confirmé le 19 février 2010 que le sommet du G20 se tiendrait au Palais des congrès du Toronto métropolitain. Le G8 se déroulerait les 25 et 26 juin 2010, après quoi le sommet du G20 aurait lieu les 26 et 27 juin. Le Bureau de gestion des Sommets, organisme gouvernemental fédéral, était chargé de coordonner et d’organiser ces deux sommets.

24     Traditionnellement, ces sommets internationaux suscitent d’importantes manifestations, qui sont parfois empreintes de violence. En 2001, la police a fait feu sur un manifestant et l’a tué lors d’une manifestation durant le G8 à Gênes, en Italie. Au deuxième jour du sommet du G8 au Royaume-Uni en 2005, des bombes humaines ont tué plus de 50 personnes dans le métro et dans un autobus à Londres. Quatre ans plus tard, lors du sommet du G20 à Londres, un vendeur de journaux est mort après avoir été frappé par derrière à la matraque et jeté au sol par la police, alors que les forces policières encerclaient les manifestants.

25     Étant donné que ces événements sont très médiatisés, que les dirigeants mondiaux sont historiquement menacés par les terroristes et que les sommets ont souvent donné lieu à des manifestations, la planification de la sécurité présentait un sérieux défi pour les responsables canadiens du maintien de l’ordre. La responsabilité de la sécurité aux sommets du G8 et du G20 a été confiée au Groupe intégré de la sécurité, fondé à l’origine en 2008 pour préparer le G8. Le GIS était une équipe conjointe de sécurité dirigée par la Gendarmerie royale du Canada, en partenariat avec le Service de police de Toronto, la Police provinciale de l’Ontario, les Forces canadiennes et la Police régionale de Peel[2].

26     La GRC avait la responsabilité première de la sécurité des sommets. Un protocole d’entente, conclu entre les partenaires du GIS, confirmait que la GRC était chargée de protéger les dignitaires internationaux ainsi que les « zones d’accès contrôlé », parfois aussi appelées « zones rouges », où se trouveraient les dignitaires. Les services locaux de police devaient être responsables des zones immédiatement adjacentes aux « zones d’accès contrôlé », connues sous le nom de « zones d’interdiction » ou « zones jaunes », ainsi que des zones autour des zones d’interdiction, tour à tour appelées zones de surveillance, zones de sécurité ou zones de circulation.

27     Pour le sommet du G8, le service policier local auquel revenait l’autorité était la Police provinciale de l’Ontario. Dans le cas du sommet du G20, la GRC devait contrôler toute la zone dans le périmètre intérieur de sécurité, qui serait érigé autour du Palais des congrès du Toronto métropolitain, de l’Hôtel Intercontinental adjacent, de l’Hôtel Westin et de l’Hôtel Royal York. La GRC était aussi responsable de la sécurité à l’Hôtel Sheraton, où descendraient de nombreux dignitaires. Le Service de police de Toronto était seul chargé de la « zone d’interdiction » s’étendant entre la clôture intérieure de sécurité et la clôture extérieure de sécurité. Elle devait aussi veiller au maintien de l’ordre aux abords de cette zone. Quant à la Police régionale de Peel, elle devait s’occuper de la sécurité autour de l’Aéroport Pearson, tandis que la GRC veillerait à la sécurité dans l’aérogare par laquelle transiteraient les dignitaires.

28     Le quartier général du GIS se trouvait à Barrie, mais la GRC a également ouvert un bureau à Toronto pour le sommet du G20. Le Service de police de Toronto et la Police régionale de Peel ont travaillé à partir de leur propre centre de contrôle, dans leurs stations respectives.

29     Le 12 mai 2010, le chef du Service de police de Toronto a écrit au ministre de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels lui demandant une désignation en vertu d’une loi provinciale appelée Loi sur la protection des ouvrages publics. Dans sa lettre, le chef de police a expliqué que l’un des éléments fondamentaux du plan de sécurité pour le G20 serait la création d’un périmètre de sécurité autour du Palais des congrès du Toronto métropolitain, qui serait gardé par le Service de police de Toronto. Le périmètre de sécurité aurait des barrières permettant l’accès à la zone de sécurité, qui seraient contrôlées par la Police de Toronto. Les personnes désireuses d’entrer dans la zone de sécurité devraient s’identifier, indiquer leur destination et dire pour quelles raisons elles voulaient entrer. Le chef de police a précisé qu’il y avait des entreprises, des commerces et des résidences dans la zone de sécurité et que les employés et les résidents de cette zone pourraient obtenir un laissez-passer leur permettant de franchir rapidement les barrières de sécurité.

30     Le 3 juin 2010, le Règlement 233/10 a été pris en application de la Loi sur la protection des ouvrages publics. Ce Règlement avait pour but de confirmer que les ouvrages publics se trouvant dans la zone d’interdiction étaient bien des « ouvrages publics » tels que définis par la Loi, et de désigner comme « ouvrages publics » trois lieux de la zone d’interdiction qui n’avaient pas encore cette désignation. Conformément à la Loi sur la protection des ouvrages publics, les gardiens nommés en vertu de cette Loi de même que les agents de la paix disposaient de vastes pouvoirs pour identifier et fouiller les citoyens, en rapport avec les ouvrages publics.

31     Pour comprendre le contexte dans lequel le Règlement 233/10 a vu le jour, et pour saisir toute son importance, il est bon de considérer tout d’abord certains des événements qui ont eu lieu dans les jours précédant le sommet du G20 puis durant la fin de semaine de ce sommet. Les comptes rendus des événements diffèrent considérablement, mais voici une brève reconstitution faite d’après les rapports de presse et les renseignements obtenus au cours de notre enquête.

 

Le territoire du G20

32     Les réunions des dirigeants mondiaux comme les sommets du G8 et du G20 retiennent vivement l’attention à l’échelle internationale. Voulant promouvoir diverses causes de justice sociale, de nombreux organismes ont planifié des événements qui coïncideraient avec ces sommets en Ontario. Certains de ces groupes ont suivi les voies officielles, ont fait connaître publiquement leurs plans d’action et ont obtenu les permis nécessaires pour manifester pacifiquement, mais les responsables du maintien de l’ordre savaient pertinemment que ces événements attireraient aussi des individus désireux de protester plus clandestinement et plus violemment. Sur leurs sites Web, des groupes anarchistes ont lancé des menaces d’action militante et de confrontation. Le 18 mai 2010, une banque a été attaquée à la bombe incendiaire à Ottawa. Le groupe qui a revendiqué cette attaque a averti que ses membres seraient aux sommets pour protester contre « l’exploitation du peuple et de l’environnement ».

33     À Toronto, les gens ont regardé avec curiosité la mise en place de l’immense périmètre de sécurité, qui a commencé le 7 juin. Tout d’abord, les curieux ont pu prendre des photos de la clôture de sécurité sans être interpellés, mais durant la semaine du sommet, beaucoup ont déclaré avoir été questionnés par la police alors qu’ils s’approchaient du périmètre de sécurité et avoir dû effacer toute image prise de cette clôture avec un téléphone cellulaire, un appareil photo ou une caméra.

34     Les tensions dans la ville ont monté quand un Torontois puis sa femme ont été arrêtés, respectivement les 22 et 24 juin, en rapport avec le sommet du G20, et accusés de port d’armes et d’explosifs.

35     Alors que la sécurité s’intensifiait à travers la ville, beaucoup de résidents ont indiqué qu’ils avaient été arrêtés et questionnés par la police au centre-ville. Le 24 juin, toute l’attention s’est portée sur le Règlement 233/10 quand Dave Vasey, étudiant en maîtrise à l’Université York, a été arrêté pour avoir refusé de montrer ses papiers d’identité à la police. Après avoir pris part à un défilé qui avait eu lieu dans le calme, M. Vasey et un ami étaient allés voir de plus près le périmètre de sécurité. Ils étaient entrés dans la zone de sécurité et en étaient repartis sans incident. Mais alors qu’ils marchaient le long de la rue à l’extérieur de la clôture de sécurité, en s’éloignant de l’entrée, la police les a interpellés et leur a demandé de s’identifier. L’ami de M. Vasey avait un laissez-passer de presse, qui a satisfait la police, mais M. Vasey a refusé de donner la preuve de son identité. Ce faisant, il suivait les conseils que les groupes de défense et de libertés civiles avaient largement prodigués, disant aux manifestants qu’ils n’étaient pas obligés de répondre aux questions de la police ou de fournir des preuves de leur identité. Le lendemain matin, les nouvelles fusaient de toutes parts sur l’arrestation de M. Vasey en vertu de la Loi, suscitant bien des questions et créant la confusion quant à la portée de cette « loi secrète », qui semblait donner à la police de nouveaux pouvoirs extraordinaires. Lors d’une conférence de presse le 25 juin, le chef du Service de police de Toronto a tenté de mettre fin à cette impression que la loi était secrète et a fait savoir que les pouvoirs conférés à la police en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics étaient applicables sur une distance de cinq mètres à l’extérieur de la clôture de sécurité.

36     Alors que le sommet du G8 à Huntsville s’était passé sans grands incidents, des signes avant-coureurs indiquaient que le sommet du G20 ne se déroulerait pas aussi calmement. Au cours de la première grande manifestation à Toronto, le vendredi après-midi 25 juin, plus de 1 000 manifestants ont quitté Allan Gardens pour une destination inconnue. Des policiers à bicyclette ont suivi les manifestants. Les chefs des manifestants ont clairement déclaré que le défilé serait pacifique, mais les observateurs de la police ont remarqué qu’un groupe de manifestants vêtus de noir émergeait de la foule. La police connaissait bien les tactiques du « black bloc » (ou bloc noir) : des individus se mêlent à la foule qui manifeste pacifiquement et s’habillent de noir pour masquer leur identité avant de se livrer à des actes de violence et de vandalisme. Ce jour-là, une trentaine de personnes vêtues de noir et armées de cailloux et de balles de golf ont quitté le groupe de manifestants et se sont dirigées vers le bureau du Coroner, où avait lieu une cérémonie de rapatriement militaire. La police anti-émeutes est alors intervenue.

37     La police a empêché les manifestants d’avancer davantage vers le sud en direction de la clôture extérieure de sécurité. Vers 18 h 30, les manifestants ont commencé à rebrousser chemin vers Allan Gardens, où beaucoup d’entre eux campaient dans l’attente des activités du lendemain. Certains se sont rendus au centre de détention de l’avenue Eastern, ancien studio de cinéma converti en prison temporaire à l’occasion du sommet. Un homme sourd y était apparemment détenu sans accès à un interprète gestuel, après avoir été arrêté pour ne pas avoir obéi à la police qui lui intimait de continuer son chemin.

38     Tôt le matin du samedi 26 juin, la police était déjà à l’œuvre pour appréhender des activistes présumés violents avant le début de la grande manifestation syndicale qui devait se tenir ce jour-là. Selon les dires, jusqu'à 30 000 personnes auraient pris part à cette manifestation le samedi après-midi. Mais vers 15 h 45, certains individus dans la foule se sont de nouveau vêtus de noir et ont quitté la manifestation qui se déroulait dans le calme. Cette fois, les militants du « bloc noir » se sont déchaînés durant 90 minutes, fracassant des vitrines, pillant des magasins, et vandalisant et incendiant trois ou quatre voitures de police. La police n’a pas confronté ce groupe. Elle a expliqué par la suite qu’elle avait décidé de se concentrer sur la sécurité du public, au lieu d’essayer d’arrêter les dégâts matériels.

39     Ensuite, les responsables du carnage se sont apparemment regroupés sur la pelouse sud de Queen’s Park, ont vite défait leur tenue noire et se sont de nouveau mêlés à la foule. Peu après, la police est intervenue massivement et a ordonné aux manifestants de quitter Queen’s Park. Certains sont partis aussitôt, mais beaucoup sont restés, croyant qu’ils en avaient le droit étant donné que la police avait fait savoir auparavant que Queen’s Park était désignée « zone d’expression ». Selon certains rapports, la police aurait eu recours à la force pour disperser la foule, se servant de gaz poivré et tirant des balles en caoutchouc. Elle a alors procédé à plusieurs arrestations.

40     Alors que le Service de police de Toronto était responsable du maintien de l’ordre dans la ville, à l’exclusion des « zones rouges » contrôlées par la GRC, des milliers de policiers venus de partout au pays avaient été déployés pour le seconder. Au quartier général du GIS, à Barrie, les commandants attendaient des nouvelles quant aux ressources supplémentaires requises par Toronto face à la montée du conflit au centre-ville. L’ancien responsable de la sécurité au GIS, qui était un membre de la GRC, nous a fait savoir que, le 24 juin, le représentant du Service de police de Toronto au comité directeur du GIS avait quitté les locaux du GIS et que, le samedi 26 juin à midi, les communications entre le GIS et le Service de police de Toronto étaient coupées. À 16 h, le Service de police de Toronto avait complètement disparu du radar du GIS. Le GIS a appelé à maintes reprises son contact au Service de police de Toronto, mais il lui a fallu 45 minutes de tentatives répétées pour établir la communication avec lui. La situation en était alors arrivée à un point critique et il a été demandé au GIS de prendre la relève de la sécurité dans la zone d’interdiction. Tandis que le Service de police de Toronto essayait de regagner le contrôle des rues de la ville, le GIS a vite déployé plus de 1 000 policiers de l’OPP, de la GRC et de la Police régionale de Peel, à compter de 16 h 45, pour faire régner l’ordre au périmètre de sécurité. Nous avons été informés que, fait sans précédent, les policiers de la GRC avaient quitté la capitale nationale « sans grands effectifs » pour vite porter secours à leurs collègues à Toronto.

41     Les manifestations se sont poursuivies tout le samedi soir à Toronto. Vers 22 h, la police anti-émeutes de Toronto a encerclé les manifestants au Novotel, à l’Esplanade. Dans les heures qui ont suivi, la police a systématiquement arrêté tous ceux et celles qui participaient à cette manifestation et, selon certaines affirmations, des passants innocents.

42     Vers 10 h du matin, dimanche 27 juin, la Police de Toronto a fait une descente dans un gymnase de l’Université de Toronto, qui servait de lieu d’hébergement aux manifestants venus d’ailleurs, principalement de Montréal. On dit qu’elle a arrêté près de 100 personnes. Plusieurs centaines d’arrestations avaient déjà eu lieu alors et environ 200 manifestants s’étaient réunis près du centre de détention temporaire pour montrer leur solidarité aux détenus. Certains de ces manifestants ont été arrêtés à leur tour, l’un d’eux ayant été atteint apparemment par un tir de projectiles en caoutchouc de la police.

43     Le dimanche après-midi, un défilé à bicyclette a eu lieu dans les rues de la ville. Plus tard ce jour-là, réagissant apparemment à des informations selon lesquelles des criminels se seraient glissés parmi un groupe de manifestants, la Police de Toronto a encerclé quelque 250 protestataires et elle a refermé ses filets sur eux au croisement de la rue Queen et de l’avenue Spadina vers 18 h. Durant les quelques heures qui ont suivi, les protestataires, les journalistes, les curieux et les badauds sont restés sous une pluie battante tandis que les policiers arrêtaient sélectivement des individus parmi la foule. Tout l’épisode a été diffusé à la télévision et les sites Web des médias sociaux ont suivi le drame en direct. À 21 h 40, le chef de la Police de Toronto a ordonné que le reste de la foule soit libéré sans condition.

44     Durant toute la fin de semaine du G20, les rumeurs ont couru que des citoyens avaient été arrêtés et fouillés dans divers endroits du centre-ville, souvent tout simplement parce qu’ils portaient des vêtements noirs. Plusieurs personnes ont aussi déclaré que la police avait invoqué la Loi sur la protection des ouvrages publics pour les fouiller et les identifier, alors qu’elles ne se trouvaient aucunement à proximité de la clôture de sécurité. La police a confisqué de très nombreux objets durant le sommet, entre autres des parapluies, des lotions oculaires et des lunettes de sécurité. Lors d’une conférence de presse le 29 juin, le chef de la Police de Toronto a exposé une impressionnante panoplie « d’armes » confisquées aux manifestants, mais une partie des objets, dont une arbalète et une tronçonneuse, ont été identifiés par la suite comme étant sans rapport avec l’événement.

45     Durant les jours qui ont précédé le sommet du G20 et durant la fin de semaine où il a eu lieu, quelque 1 105 personnes ont été arrêtées – ce qui représente l’arrestation collective la plus massive dans toute l’histoire canadienne. Beaucoup l’ont été pour troubles de l’ordre public, d’autres pour diverses infractions au Code criminel et au moins deux pour violation de la Loi sur la protection des ouvrages publics. De tous ces détenus, un peu moins de 700 ont été relâchés sans accusation. Bon nombre des charges retenues contre les 315 accusés au sommet du G20 ont été par la suite suspendues ou retirées, y compris celles visant neuf personnes apparemment incluses par erreur à la liste. Le 14 octobre 2010, 116 autres accusations ont été retirées, laissant seulement 99 dossiers relatifs au sommet devant les tribunaux. Même M. Vasey a découvert qu’il n’y avait aucune trace d’accusation contre lui en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics quand il s’est présenté en cour le 28 juillet. Par la suite, un porte-parole de la Police de Toronto a déclaré que les accusations « s’étaient perdues dans les échanges de courrier ».

46     Après le sommet, le Service de police de Toronto a continué de rechercher les meneurs des émeutes du G20 et elle a procédé à plusieurs arrestations retentissantes.

47     Selon les estimations, 20 000 personnes ont travaillé à la sécurité de ces deux sommets, dont des gardes privés engagés à contrat par le gouvernement fédéral. Le coût exorbitant de ces événements a été estimé à plus de 1 milliard $. À elle seule, la clôture de sécurité, qui s’étirait sur près de 10 kilomètres au centre-ville de Toronto, aurait coûté 9,4 millions $.

48     D’après les organisateurs fédéraux, les sommets ont été une réussite – malgré les inconvénients qui en ont résulté pour Toronto. Mais beaucoup d’Ontariens ont été ahuris et troublés par le flux constant d’images de Toronto qui sont passées aux nouvelles et en direct sur Internet durant cette fin de semaine du G20. À côté de scènes de voitures de police incendiées et d’émeutiers brisant des vitrines, il y a cette vidéo tristement célèbre d’un policier qui menace d’arrêter une manifestante pour voies de fait si elle le touche d’une de ses bulles de savon. Une autre vidéo a montré un policier masqué qui se sert d’une arme de contrôle des foules pour tirer un projectile sur une femme qui se tient apparemment calmement devant lui – et qui tombe au sol sous le choc du tir. Le nombre imposant d’arrestations à l’occasion du G20 et la manière dont elles se sont déroulées étaient sans précédent au Canada et ont souvent paru complètement en décalage avec l’image traditionnelle du pays. Comme l’a souligné un éminent avocat et universitaire, ces événements « auraient pu se produire durant une manifestation en Europe de l’Est, à une ère révolue, mais pas ici. C’est un abus complet de procédure. Quelqu’un aurait dû surveiller la situation »[3].

 

L’après-sommet et le futur

49     Le sommet du G20 s’est terminé le dimanche 27 juin 2010 en fin d’après-midi. Mais ses répercussions se sont longuement fait sentir.

50     Le lundi 28 juin, les délégués du G20 avaient quitté Toronto. Dans la ville, on démontait la clôture de sécurité. Mais dans le sillage du G20, les manifestations continuaient au centre-ville. Cette fois, l’objectif n’était plus d’attirer l’attention des dirigeants mondiaux, mais de demander la condamnation de la conduite des responsables du maintien de l’ordre lors du sommet et de réclamer une enquête publique à ce sujet. La police était critiquée pour ne pas être intervenue alors que les activistes du « bloc noir » endommageaient, détruisaient et pillaient, faisant des dégâts de plusieurs millions de dollars. On lui reprochait aussi ses tactiques de contrôle des manifestants employées après ce déchaînement de vandalisme, son recours à la force et ses arrestations massives durant toute la fin de semaine, ainsi que les mauvaises conditions de détention à la prison temporaire.

51     Le 29 juin, quand le chef du Service de police de Toronto a tenu une conférence de presse après le sommet, il était clair aussi qu’il n’y avait jamais eu de « règle des cinq mètres » applicable à la zone aux abords de la clôture de sécurité, ce qui a incité bien des gens à dire que le public avait été délibérément trompé. Plusieurs députés provinciaux ont aussi condamné le fait que de vastes pouvoirs aient apparemment été conférés à la police par simple règlement technique, sans avis, sans consultation et sans débat.

52     Les opinions sont partagées quant à la manière dont les gouvernements, et leurs forces de police, se sont conduits à l’occasion du sommet du G20. Bien que le conseil municipal de Toronto ait voté à l’unanimité pour féliciter le chef de police et ses policiers pour le travail remarquable fait par eux durant le sommet, et bien qu’un sondage d’opinion mené par Angus Reid indique que 73 % des Torontois et 66 % des Canadiens considéraient que la manière de traiter les manifestants était justifiée, des défenseurs des droits civils et des politiciens ont réitéré leur demande d’une enquête exhaustive sur les événements du G20. Le gouvernement fédéral s’est montré d’abord réticent à faire un post-mortem du G20, mais deux Comités permanents du Parlement tiennent actuellement des audiences pour considérer les coûts et les tactiques connexes aux sommets. La Commission des plaintes du public contre la GRC a entamé une enquête sur la conduite de la GRC lors des sommets. Plusieurs études distinctes sur les événements du sommet du G20 ont aussi été entreprises au palier municipal et au palier provincial.

53     Le 29 juin, le Service de police de Toronto a fait savoir que son équipe SMAART (Summit Management After Action Review Team) étudierait et examinerait toutes les questions liées au maintien de l’ordre lors du sommet à Toronto et qu’elle en ferait rapport. Le 6 juillet, la Commission des services policiers de Toronto a annoncé qu’elle lancerait un examen civil indépendant des questions de gouvernance rattachées au sommet du G20. Et le 23 septembre, cette commission a chargé l’honorable John W. Morden, ancien juge de la Cour d’appel de l’Ontario, de cette enquête.

54     Le 22 juillet, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police, qui avait reçu 275 plaintes du public, a annoncé qu’il se pencherait sur les problèmes systémiques connexes aux allégations de fouilles et d’arrestations illégales et de détentions injustifiées portées contre la police au sujet du sommet du G20[4].

55     L’Unité des enquêtes spéciales de la province a aussi fait enquête sur six incidents durant lesquels des manifestants ont été blessés par la police lors des manifestations à l’occasion du G20, le 26 juin. À la fin novembre, le directeur de l’UES a annoncé qu’aucune accusation ne serait portée contre aucun des policiers. Bien que le directeur ait conclu qu’une force excessive avait été exercée dans deux des cas, l’UES n’ pas été en mesure d’identifier les policiers impliqués.

56     De plus, le 22 septembre, la province a annoncé que l’ancien juge en chef et procureur général de l’Ontario, l’honorable Roy McMurtry, dirigerait un réexamen de la Loi sur la protection des ouvrages publics, qui devrait se terminer au printemps prochain.

57     Le 5 octobre, la chef des néo-démocrates Andrea Horwath a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire demandant une enquête sur tous les aspects de la conduite du gouvernement et du processus décisionnel d’application de la loi lors du sommet du G20. Le 19 octobre, le député provincial Peter Kormos a fait de même[5].

58     Les organismes civils ont eux aussi réagi aux événements du G20. L’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) a préparé un rapport d’observation préliminaire durant le sommet, intitulé Troubler la paix, et un groupe de citoyens a annoncé qu’ils tiendraient « une enquête du peuple », Don’t Wear Black, pour donner aux résidents et aux visiteurs de Toronto l’occasion de raconter leurs histoires du G20. L’ACLC et la National Union of Public and General Employees ont co-parrainé des audiences publiques en novembre pour examiner l’activité de la police durant le sommet. Deux recours collectifs ont été lancés – l’un demandant 45 millions $ pour les personnes injustement arrêtées, détenues, emprisonnées ou gardées à vue par la police durant le sommet du G20; l’autre réclamant 115 millions $ pour les personnes détenues et arrêtées ainsi que pour les propriétaires d’entreprises et de commerces dont les biens ont été vandalisés. Une troisième poursuite a été intentée par une femme qui a allégué que la police avait tiré sur elle à deux reprises avec des projectiles en caoutchouc. Cette femme réclame 1 million $ pour voies de fait, violence physique, arrestation et détention illégales, poursuites malveillantes et violation de plusieurs droits et libertés garantis par la Charte. En novembre, un organisateur communautaire de Montréal qui avait été arrêté lors du sommet a entrepris de contester constitutionnellement les conditions de sa mise en liberté sous caution.

59     Durant les jours qui ont suivi la fin de semaine du G20, mon Bureau a reçu un flux constant de plaintes et de dépositions à propos du sommet, provenant de divers particuliers et groupes, dont des professeurs inquiets de l’Université York, la Coalition antiracisme de l’Université Ryerson et un député provincial. Une grande partie des plaintes qui nous sont parvenues émanaient de personnes directement touchées par les événements de la fin de semaine du G20. L’un des thèmes les plus fréquents des plaintes était le manque de transparence, de communication et de clarté quant au Règlement 233/10. Le 8 juillet 2010, j’ai avisé le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels que j’enquêterais sur son rôle dans la création et la mise en place du Règlement 233/10 pris en application de la Loi sur la protection des ouvrages publics, et sur la manière dont il avait communiqué ensuite avec les intéressés à propos de ce Règlement.

 

Plaintes

60     Mon Bureau a reçu une multitude de plaintes à propos de divers problèmes relatifs au sommet du G20, entre autres sur les questions suivantes :

  • processus suivi par le gouvernement de l’Ontario pour adopter le Règlement 233/10 en application de la Loi sur la protection des ouvrages publics, en l’absence de tout débat public, transparence et consultation;

  • manque d’avis publics sur le Règlement et ses répercussions pour le grand public;

  • manque de clarification de la part du gouvernement et de la police quant au Règlement et aux pouvoirs qu’il conférait, une fois que son existence a été connue;

  • conduite des policiers dans l’exercice des pouvoirs conférés par le Règlement, du 24 au 27 juin inclus, notamment sur les questions d’arrestations illégales et de violations de la Charte;

  • allégations d’arrestations illégales de manifestants sur les sites désignés comme des lieux de liberté d’expression par le gouvernement, entre autres à Queen’s Park Nord;

  • traitement des détenus au centre de détention de l’avenue Eastern et notamment allégations de violations des droits de la personne;

  • conditions de mise en liberté sous caution, entre autres sommes exigées pour la remise en liberté et temps écoulé entre l’arrestation et l’audience de libération, puis entre cette audience et la libération, pour les personnes détenues durant la fin de semaine du G20;

  • absence d’un système de dépôt de plaintes pour les problèmes connexes au G20, entre autres relativement au Règlement et à la conduite de la police.


61     Au total, nous avons reçu 167 plaintes, dont plus de 100 plaintes, communications de renseignements et expressions de soutien de la part des membres du public, de députés provinciaux et de divers organismes et groupes de libertés civiles, après l’annonce publique de notre enquête.

62     Plusieurs des plaignants qui ont communiqué avec notre Bureau ont fait un récit terrible de leur expérience personnelle aux mains de la police durant la fin de semaine du G20. John Pruyn, 57 ans, employé de Revenu Canada, résidant à Thorold en Ontario, était venu à Toronto pour participer à la manifestation syndicale le samedi. M. Pruyn est amputé et se déplace à l’aide de béquilles. Après avoir participé au défilé sur l’avenue University, il est revenu à la zone désignée comme site d’expression à Queen’s Park, avec sa fille, et il s’est assis pour se reposer. Quelques minutes après, la police est arrivée en criant « Filez! » M. Pruyn nous a raconté que sa fille et deux jeunes hommes près de lui s’étaient précipités pour l’aider à se mettre debout, mais qu’il avait perdu l’équilibre et qu’il était tombé. La fille de M. Pruyn a demandé à la police de lui donner le temps d’aider son père, expliquant qu’il était amputé. Mais M. Pruyn s’est retrouvé plaqué au sol, ventre à terre, par les policiers. Il n’a pas pu obéir aux policiers qui lui ordonnaient de marcher sans ses béquilles. Un policier a alors attrapé la jambe artificielle de M. Pruyn, qu’il a « arrachée ». M. Pruyn se souvient que le policier l’a poussé du bout de cette jambe artificielle, lui disant de la rattacher. Quand il a expliqué aux policiers qu’il était dans l’incapacité de le faire, ceux-ci l’ont entraîné vers le fourgon cellulaire. M. Pruyn affirme que les policiers lui ont donné plusieurs coups de pied et qu’ils ont dit qu’il résistait à son arrestation et qu’il possédait une arme. M. Pruyn a été fouillé puis détenu durant plusieurs heures, pour être ensuite libéré sans accusation. Il nous a déclaré que la police avait toujours ses lunettes, ses béquilles et les 33 $ qu’il avait dans sa poche lors de son arrestation.

63     Beaucoup de personnes qui nous ont contactés ont déclaré que la police les avait interpellées, leur avait demandé des papiers d’identité et les avait fouillées à l’occasion du sommet du G20. Certaines des fouilles ont eu lieu dans la « zone d’interdiction », d’autres dans les cinq mètres autour de cette zone, et d’autres encore bien au-delà de la zone de sécurité. En général, les plaignants ont dit ne pas bien comprendre les origines et la portée du Règlement 233/10 pris en application de la Loi sur la protection des ouvrages publics, ainsi que les pouvoirs exceptionnels qu’il conférait apparemment à la police.

64     Durant la semaine qui a précédé le sommet, Rob Kittredge, avocat et photographe amateur qui travaille tout juste à l’extérieur de la zone de sécurité, prenait des photos à l’intérieur de cette zone un soir après son travail. Selon M. Kittredge, deux policiers l’ont abordé et lui ont demandé ce qu’il faisait. Poliment, il a refusé de présenter ses papiers d’identité, croyant qu’il était en droit de le faire. Les policiers lui ont dit qu’en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics, ils pouvaient le fouiller sans mandat et le contraindre à s’identifier. Il leur a alors répondu que le meilleur moyen de mettre fin à cette situation était peut-être qu’ils usent de leur autorité et qu’ils prennent son portefeuille dans sa poche de gauche et regardent ses papiers d’identité. Les policiers l’ont alors complètement fouillé et ont passé en revue toutes les photos sur son appareil, les déclarant « suspectes ». Après cette fouille, l’un des policiers l’a avisé qu’il était « banni » en vertu de la Loi. Quand M. Kittredge a demandé de quelle zone il était banni, le policier ne lui a rien répondu.

65     Nous avons parlé à M. Vasey, qui a été arrêté le 24 juin en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics pour avoir refusé de montrer ses papiers d’identité. M. Vasey était à proximité de la clôture de sécurité, mais pas près d’une entrée, quand il a été arrêté. Il nous a expliqué qu’il n’avait jamais entendu parler de la Loi avant cet incident. En fait, les plaignants nous ont constamment affirmé qu’ils avaient appris l’existence de cette Loi une fois que l’arrestation de M. Vasey avait été médiatisée. Certains ont expliqué qu’ils avaient délibérément évité d’aller à proximité de la clôture de sécurité après avoir entendu parler de la « règle des cinq mètres » – mais qu’ils avaient été néanmoins interrogés et fouillés dans d’autres lieux de la ville.

66     Certains ont été interpellés aux abords de la clôture de sécurité expressément en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics. Le vendredi 25 juin, la police a demandé ses papiers d’identité à Aaron Adams, 26 ans, dans le passage souterrain de la rue York. Selon M. Adams, la police lui a dit qu’en raison « d’un amendement apporté à la Loi sur la protection des ouvrages publics », et parce qu’il était à moins de cinq mètres du périmètre de sécurité, il devait montrer ses papiers d’identité et se laisser fouiller, sinon il risquerait une arrestation. La police a aussi interpellé Vladimir Cubrt, 36 ans, alors qu’il roulait à bicyclette vers l’ouest sur la rue Wellington, entre les rues Bay et York, le samedi 26 juin vers 18 h. Selon M. Cubrt, les policiers lui ont dit qu’ils étaient en droit de le fouiller, en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics, parce qu’il était dans les cinq mètres jouxtant le périmètre de sécurité. Les policiers l’ont averti qu’il risquait une arrestation, en cas de refus. Ce même jour, la police a détenu Walter Stone[6], 23 ans, alors qu’il rentrait à la maison après avoir regardé un match de la Coupe du monde de football avec des amis, à la télévision. M. Stone a été fouillé et arrêté pour port d’arme, mais ces accusations ont été retirées par la suite. Son Dossier complémentaire d’arrestation confirme qu’il a été fouillé en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics. Ces trois hommes maintiennent qu’ils n’essayaient aucunement d’entrer dans la zone de sécurité lors de leur interpellation.

67     D’après de nombreux rapports, la police aurait couramment fouillé les manifestants qui convergeaient vers Allan Gardens, dès le vendredi 25 juin. Une femme qui a témoigné nous a déclaré qu’elle était sur les lieux le dimanche 27 juin et qu’elle avait entendu les policiers dire très clairement aux gens qu’ils fouillaient les sacs à dos en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics – alors que la zone de sécurité se trouvait à plus de deux kilomètres de là et que le Service de police de Toronto savait depuis le vendredi que le Règlement 233/10 n’était censé s’appliquer qu’à la zone à l’intérieur du périmètre de sécurité.

68     Dans de nombreux cas, les plaignants nous ont déclaré que les policiers ne leur avaient pas dit en vertu de quel droit ils les interpellaient. Nancy Ryan, 27 ans, rentrait chez elle le dimanche 27 juin après avoir fait des achats à Loblaws, sur Queens Quay. Elle affirme que la police a demandé à fouiller ses sacs d’épicerie alors qu’elle se trouvait à environ 200 mètres de la clôture de sécurité. Elle n’a pu passer qu’après avoir montré ses papiers d’identité. Le même jour, David King, 60 ans, photojournaliste et formateur dans un collège, a été fouillé par la police à l’intersection de la rue Queen et de l’avenue Spadina, et Alexander Wolfson, résident de Parkdale, a dû demander à un membre de sa famille de lui apporter ses papiers d’identité après avoir été interpellé par la police dans son quartier.

69     Pour les quelque 40 000 personnes[7] qui travaillaient ou résidaient dans « la zone », la situation était aussi source de confusion. Plusieurs lieux de travail à l’intérieur de la zone d’interdiction sont restés ouverts durant la fin de semaine du G20. Un homme qui travaillait dans l’édifice de la CBC sur la rue Front durant la fin de semaine du G20 s’est dit frustré par les renseignements donnés aux personnes qui devaient travailler à l’intérieur de cette zone :

D’après ce qu’ils disaient, on ne comprenait pas ce qu’était la zone, ce qu’ils attendaient de nous en dehors de la zone, ce qu’ils attendaient de nous à l’intérieur de la zone, quelles seraient les répercussions si on ne se conformait pas ou si on ne pouvait pas se conformer à ce qu’ils attendaient de nous, surtout pour la question de l’identification.


70     Afin d’illustrer le climat d’incertitude auquel ont été confrontées les personnes à l’intérieur de la zone, il a donné l’exemple d’une collègue qui est sortie de l’édifice pour fumer une cigarette et qui a été accostée par la police, qui lui a dit qu’elle ne pouvait pas quitter le bâtiment sans papiers d’identité.

71     Contrairement au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, qui tombe sans ambiguïté sous le pouvoir de surveillance de mon Bureau, les services de police font partie du secteur MUSH[8] qui échappe à mon champ de compétence en tant qu’Ombudsman. C’est pourquoi mon Bureau a dû renvoyer M. Pruyn et les autres plaignants principalement concernés par la conduite de la police au Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police du ministère du Procureur général. Comme les cours de justice ne relèvent pas non plus de ma surveillance, nous n’avons pas pu intervenir pour les plaintes à propos des conditions de libération sous caution. Mais le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a joué un rôle majeur dans l’un des aspects les plus controversés du plan de sécurité du G20 – à la demande du chef du Service de police de Toronto, il a promu l’adoption d’un règlement portant sur la mise en place d’une clôture de sécurité imprenable autour d’une vaste zone du centre-ville de Toronto. La conduite du Ministère relativement à la promulgation du Règlement 233/10 et à la divulgation de la portée de ce Règlement aux intéressés relève directement du mandat d’enquête de l’Ombudsman. Par conséquent, notre enquête s’est concentrée sur ces questions.

 

Processus d’enquête

72     L’enquête a été confiée à l’Équipe d’intervention spéciale de l’Ombudsman (EISO) et elle a été menée par sept enquêteurs et deux agents de règlement préventif. Cette équipe a effectué 49 entrevues avec de hauts dirigeants du Ministère, des responsables de la Ville de Toronto, des cadres supérieurs de la Police provinciale de l’Ontario (y compris l’ancien sous-commissaire de la GRC qui était à la tête du comité directeur du Groupe intégré de la sécurité), des plaignants et divers groupes d’intéressés. Elle a obtenu une excellente collaboration de la part du Ministère et de la Police provinciale de l’Ontario. La plupart des entrevues ont été enregistrées et transcrites.

73     Nous avons aussi invité le Service de police de Toronto et la Police régionale de York à nous parler et à nous faire part de leurs expériences et de leurs commentaires à propos des questions soumises à enquête. Nous avons demandé à rencontrer des policiers qui avaient apparemment été impliqués dans des incidents durant lesquels la Loi sur la protection des ouvrages publics avait été invoquée. Le Service de police de Toronto a décliné notre invitation. La Police régionale de York nous a envoyé une réponse écrite, le 12 octobre 2010.

74     Notre équipe d’enquête a aussi passé en revue plus de 1 000 pages de documents fournis par le Ministère. En vertu de la Loi sur l’ombudsman, le Ministère est en droit d’invoquer le secret professionnel des avocats pour les documents portant sur des conseils juridiques. Certains des documents que nous avons reçus comprenaient des passages occultés pour cette raison. Dans certains cas, nous avons conclu que les renseignements dissimulés étaient « sans pertinence » ou « non recevables ». Dans d’autres, nous avons reçu de multiples copies d’un même document obscurci à différents degrés. À notre demande, le Ministère a réexaminé plusieurs documents pour répondre à nos questions sur la divulgation de l’information et il nous a transmis des renseignements complémentaires.

75     De plus, l’EISO a fait des recherches indépendantes approfondies, entre autres sur les événements survenus lors de sommets précédents. Elle a aussi eu recours aux méthodes classiques de collecte des preuves, visitant par exemple « la zone » et parlant à des gens d’affaires, des employés et des résidents qui s’étaient trouvés à l’intérieur du périmètre de sécurité.

 

Usage stratégique des médias sociaux

76     Cette enquête marque un nouveau départ important pour notre Bureau en ce qui concerne le recueil des preuves, car nous n’avons pas uniquement suivi les méthodes traditionnelles. La situation nous a donné l’occasion tout à fait unique d’inclure les médias sociaux comme Facebook, YouTube, les sites Web, les balados, les blogues et les services de microblogage comme Twitter. Le succès de cette approche a été remarquable.

77     Durant le sommet du G20 et dans les jours qui ont suivi, les écrans de télévision et les sites de médias sociaux ont été bombardés d’images, dont beaucoup avaient été prises et diffusées par des gens qui avaient directement participé aux événements, ou qui en avaient été personnellement témoins. Nous avons retracé plus de 5 000 vidéos sur le G20 affichées sur les sites Web des médias sociaux, qui se sont avérés un moyen novateur et efficace d’enquête. Les médias sociaux ont permis à l’EISO de toucher un vaste public et d’avoir accès à des preuves en temps réel, rien qu’en naviguant sur la Toile. De plus, nous avons étudié de nombreuses vidéos et quelque 500 photos qui nous ont été envoyées par les membres du public.

78     Au début de l’enquête, je me suis servi de Twitter pour inviter les gens à communiquer avec notre Bureau et à nous transmettre des renseignements sur les questions sous enquête. Grâce à cette nouvelle forme de communication, nous avons pu joindre un public plus vaste que notre public traditionnel. L’EISO a chargé deux de ses enquêteurs de travailler en proche collaboration avec notre équipe de communications, afin de surveiller les nouvelles qui circulaient sur les médias sociaux à propos du G20 et d’observer le contenu de leurs sites. Ces sites ont été un bon moyen de joindre des gens qui pouvaient présenter un intérêt pour notre enquête. La plupart de ceux et celles avec qui nous avons communiqué par l’entremise des médias sociaux nous ont répondu.

79     Tout comme Twitter, Facebook s’est révélé utile durant notre enquête. Nous avons annoncé cette investigation sur la page Facebook de notre Bureau, en invitant le public à partager ses expériences et ses vidéos. Nous avons reçu beaucoup de réponses et commentaires, ainsi que de multiples expressions de soutien. Le public nous a aussi envoyé des liens vidéo par ces réseaux.

80     Après l’annonce de notre enquête, notre site Web a reçu des milliers de visites supplémentaires. Le trafic sur notre site Web s’est intensifié, avec presque 2 000 visites le jour de l’annonce de l’enquête, puis 37 270 visualisations de pages rien qu’en juillet.

81     Dès le début de notre enquête, nous avons fait tout notre possible pour préserver les preuves électroniques. Nous avons installé des logiciels pour sauvegarder des vidéos diffusées sur Internet, sachant que les sites sont mis à jour périodiquement et que certains éléments en sont éliminés. Nos enquêteurs ont passé maintes heures à visionner des vidéos du G20 téléchargées à partir de YouTube et à en évaluer la pertinence pour notre enquête. Dans certaines vidéos, on voyait la police demander à des gens de présenter leurs papiers d’identité et faire des fouilles loin du périmètre de sécurité. Dans d’autres, les autorités faisaient clairement référence à la Loi sur la protection des ouvrages publics. Par exemple, dans une vidéo, on voit Charlie Veitch de « Love Police » en Angleterre qui est arrêté en dehors de la clôture de sécurité le 24 juin pour ne pas avoir obéi à l’ordre de s’identifier. La vidéo inclut une image de la Promesse de comparution de son acte d’accusation disant qu’il est accusé en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics, para. 5 (1).

82     L’Annexe A de ce rapport donne des descriptions de vidéos et des liens connexes à la Loi sur la protection des ouvrages publics, aux demandes d’identification, aux fouilles, aux arrestations, aux récits de témoins, aux rapports des médias et à d’autres images sur le sommet du G20.

83     Bien que beaucoup de vidéos nous aient fourni des preuves précieuses des événements, en direct, ce moyen d’enquête présente des limites. Les gens dans les vidéos ne sont pas toujours identifiables et les lieux ne sont pas toujours évidents à reconnaître. Et bien que ces images aient donné un aperçu des événements du G20, les preuves apportées ainsi n’ont en rien écarté le besoin de mener une enquête exhaustive sur le terrain. Néanmoins, les médias sociaux ont transformé notre processus d’enquête et de communication avec le public. Nous comptons bien les utiliser à l’avenir à la fois pour dialoguer avec le public et pour aider aux enquêtes de l’EISO.

 

À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles

84     Durant notre enquête, nous avons découvert que, bien que n’étant pas la plus ancienne loi de la province, la Loi sur la protection des ouvrages publics remonte à des temps très lointains. Cette Loi existe depuis plus de 70 ans. Lorsqu’elle a été promulguée, les parlementaires ne s’inquiétaient pas de la sécurité de dignitaires internationaux réunis en sommets mondiaux. Leur objectif était d’instaurer la loi martiale, alors que le Canada était entré dans la Seconde Guerre mondiale.

85     Le 10 septembre 1939, le Canada a déclaré la guerre au Reich allemand. Neuf jours plus tard, l’Assemblée législative de l’Ontario a tenu une session d’urgence pour considérer une série de mesures de guerre. La Loi de 1939 sur la protection des ouvrages publics était l’une des lois adoptées par l’Assemblée durant cette session pour permettre au gouvernement « d’entreprendre immédiatement ces activités afférentes à la guerre, qui relèvent de la compétence provinciale ».

86     Les circonstances étaient tout à fait exceptionnelles et elles exigeaient des mesures d’action exceptionnelles. En fin de session, le lieutenant-gouverneur a fait cette remarque :

Nous sommes maintenant engagés dans un combat à la vie et à la mort avec un ennemi hâbleur et arrogant, prêt à écraser impitoyablement toute liberté personnelle, civile et religieuse. Quiconque a suivi les événements des quelques dernières années ne peut en douter. Nous devons décisivement vaincre cet ennemi si nous voulons préserver tout ce que nous avons de plus cher.


87     En temps de guerre, une certaine intrusion dans les libertés civiles est prévisible et sans doute nécessaire au maintien de l’ordre et à la sécurité du public. Il ne faut donc pas s’étonner que la Loi de 1939 sur la protection des ouvrages publics ait conféré de très larges pouvoirs pour assurer la sécurité de divers ouvrages publics, dont des moyens de transport, des services publics et des bâtiments gouvernementaux.

88     La Loi autorisait divers dirigeants publics, et même certaines entités privées, à nommer des gardiens pour protéger les ouvrages publics – qui étaient ainsi définis par la Loi :

a)     tout chemin de fer, canal, route, pont, centrale d’énergie, y compris tous les biens servant à la production, à la transformation, au transport, à la distribution ou à la fourniture de l’énergie hydraulique ou électrique, système d’approvisionnement en gaz ou d’alimentation en eau, service public ou autre ouvrage dont est propriétaire ou exploitant le gouvernement de l’Ontario, l’un de ses conseils ou commissions, une municipalité, une commission de service public ou une entreprise privée;

b)    tout bâtiment public provincial ou municipal;

c)     tout autre bâtiment, lieu ou ouvrage, désigné comme ouvrage public par le lieutenant-gouverneur en conseil. (art. 1)


89     Dans le cas des routes, la définition incluait les voies publiques, ainsi que toutes rues, tous ponts et toutes « structures connexes »[9].

90     Conformément à cette Loi, les gardiens et les autres agents de la paix pouvaient exiger que quiconque pénétrant ou tentant de pénétrer dans un ouvrage public ou ses abords donne ses nom et adresse, établisse son identité et indique la raison pour laquelle il voulait pénétrer dans cet ouvrage public, le tout par écrit ou non[10].

91     Ils pouvaient aussi fouiller, sans mandat, toute personne pénétrant ou tentant de pénétrer dans un ouvrage public, ou le véhicule dont cette personne avait, avait eu récemment ou était soupçonnée d’avoir eu la garde ou le contrôle, ou à bord duquel elle était un passager[11]. De plus, ils étaient en droit d’interdire à quiconque de pénétrer dans un ouvrage public et d’user de la force nécessaire à cet effet[12].

92     Quiconque omettait ou refusait de se conformer à l’exigence ou à l’ordre formulé par un gardien ou un agent de la paix aux termes de la loi, ou quiconque était trouvé sur un ouvrage public ou ses abords sans qualité légitime, était coupable d’une infraction et passible d’une arrestation, d’une amende de 100 $ et/ou d’un emprisonnement d’au plus deux mois[13]. Dans les instances en vertu de cette Loi, la déclaration sous serment par un agent ou un employé de l’exploitant ou du responsable de l’ouvrage public quant aux limites d’un ouvrage public était une preuve concluante contre un accusé[14].

93     La Loi ne définissait pas ce que signifiaient les « abords d’un ouvrage public » mais elle indiquait que des règlements pouvaient être adoptés pour « définir les abords d’ouvrages publics, que ce soit aux fins d’application générale ou à propos d’un ouvrage public en particulier »[15]. Des règlements pouvaient aussi être édictés quant à la surveillance exercée par les gardiens et quant à « toute autre matière nécessaire ou souhaitable pour l’application efficace de la présente Loi »[16].

94     Les archives ne donnent pas grande indication sur la raison de l’adoption de cette Loi mais, de toute évidence, son objectif premier était de protéger de tout sabotage l’infrastructure de l’Ontario. On peut aussi présumer que la définition très vaste « d’ouvrages publics », qui permettait aux gardiens et aux agents de la paix d’identifier et de fouiller quiconque entrait ou se trouvait sur une route ou dans une rue, avait pour objectif d’extirper les ennemis de l’État et de découvrir des armes.

 

La guerre prend fin, mais la loi martiale subsiste

95     Quand la guerre a pris fin en 1945 et que la nation a retrouvé la paix, la Loi sur la protection des ouvrages publics est restée en place – vestige d’un monde en conflit. À l’exception de quelques modifications relativement mineures, notamment sur le montant de l’amende qui est passé à 500 $ en 1990, la Loi est en grande partie restée indemne[17].

96     Mais la Loi sur la protection des ouvrages publics a rarement été utilisée. Depuis 1939, le gouvernement ne l’a appliquée que pour nommer des gardiens dans divers édifices gouvernementaux, notamment à Queen’s Park. Cette Loi a aussi été utilisée conjointement à certaines dispositions de la Loi sur les services policiers pour renforcer la sécurité dans les cours de justice. Des mesures de sécurité accrues ont été instaurées dans la province à la suite d’une série d’incidents violents et de graves menaces contre les membres du système judiciaire, dont des fusillades mortelles, dans des cours de justice en Ontario. Ces mesures ont invoqué en partie la Loi sur la protection des ouvrages publics[18].

97     La Loi sur la protection des ouvrages publics de l’Ontario est unique au Canada, aussi bien en raison de son envergure que des pouvoirs qu’elle confère. Bien que certaines instances aient adopté des textes de loi qui visent très précisément la sécurité dans les cours de justice, aucune autre loi définissant les « ouvrages publics » au Canada ne comprend des dispositions similaires à celles de cette Loi de l’Ontario[19].

98     Certains responsables du maintien de l’ordre étaient sans aucun doute au courant de cette Loi exceptionnelle, mais le public n’en avait vraiment pas connaissance avant le sommet du G20 en 2010. Sans les événements survenus lors de ce sommet, il est fort probable que la plupart des Ontariens n’auraient jamais appris l’existence de cette Loi.

 

L’escalade du sommet

99     Au cours des mois qui ont précédé le sommet du G20, des avocats et des groupes de défense ont conseillé les manifestants, distribué des feuillets d’information, animé des ateliers et géré des sites Web d’information sur les droits civils. Les organisateurs des manifestations ont consulté les responsables du GIS et du Service de police de Toronto, ont demandé l’approbation des itinéraires des manifestations et se sont renseignés sur les mesures de sécurité susceptibles d’avoir des répercussions sur les droits et les libertés de dizaines de milliers de personnes qui se préparaient à manifester.

100   Le 21 mai 2010, l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) a fait paraître un article intitulé « Protéger les libertés civiles et les droits de la personne au G20 : Exposé des préoccupations ». Dans ce document, l’ACLC soulignait que la proposition de boucler de vastes parties de Toronto pour des raisons de sécurité avait un impact sur un certain nombre de droits édictés dans la Charte, plus précisément à l’article 7 qui garantit la liberté individuelle, incluant la liberté de circulation, et aux paragraphes 2 b), c) et d) qui garantissent la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

101   L’ACLC a reconnu que des périmètres de sécurité pourraient être mis en place pour protéger les dignitaires étrangers, mais elle s’est inquiétée de leur envergure. Elle savait qu’en vertu de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, la GRC était pleinement en droit de « prendre les mesures qui s’imposent, notamment en contrôlant, en limitant ou en interdisant l’accès à une zone dans la mesure et selon les modalités raisonnables dans les circonstances »[20].

102   Elle a aussi noté que le Rapport Intérimaire de la commission - APEC[21] avait appuyé un principe directeur permettant de pouvoir demander « l’élargissement du périmètre de sécurité pour des raisons autres que la sécurité dans la mesure nécessaire pour que les participants puissent travailler avec efficacité… ». Toutefois, l’ACLC a souligné que le rapport sur l’APEC avait fait cette mise en garde : une clôture de sécurité érigée pour éloigner significativement les manifestants et pour préserver une « atmosphère analogue à celle d’une retraite » pourrait violer la Charte.

103   L’ACLC a déclaré qu’étendre le périmètre de sécurité au-delà de ce qu’il fallait pour assurer la sécurité et le bon déroulement du sommet « enfreindrait de manière injustifiable la liberté de circulation, d’expression, de réunion pacifique et d’association ». L’ACLC s’est particulièrement inquiétée de la tenue de fouilles « ad hoc », sans motifs raisonnables et sans objectifs de sécurité. Dans son rapport, elle a déclaré :

… dans aucunes circonstances, les personnes ne devraient se voir interdire l’entrée dans une zone publique tout simplement pour avoir refusé de se laisser fouiller, ou parce que le gouvernement croit qu’elles vont participer à des manifestations et des protestations non violentes. Dans la mesure où la preuve existe que certains individus posent de graves menaces pour la sécurité des personnes et des biens, l’ACLC accepte que certaines formes de contrôle non intrusif soient mises en place. Mais il est impératif que les critères d’exclusion soient annoncés à l’avance.


104   Le 4 juin, l’ACLC a écrit à la GRC et au Service de police de Toronto pour demander plus de renseignements sur la clôture extérieure de sécurité dont la mise en place avait été annoncée la semaine précédente. L’ACLC a posé une série de questions pour savoir à quoi le public devait s’attendre quant au pouvoir policier d’identifier et de fouiller les gens durant le sommet. Elle a notamment posé cette question :

Les personnes auront-elles la possibilité de quitter les lieux sans être fouillées si elles ne donnent pas leur consentement?


105   Le 13 juin, le chef du Service de police de Toronto a répondu aux demandes de l’ACLC en lui donnant des renseignements généraux sur les textes de loi en vertu desquels la sécurité des participants au sommet serait assurée, dont la Loi sur les services policiers, la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales et la common law. Quant aux fouilles sur le périmètre de sécurité, il a déclaré qu’elles seraient laissées à la discrétion des policiers, selon les circonstances, ajoutant que quiconque demandait à entrer dans la zone de sécurité pourrait être fouillé. Il a expliqué que les fouilles seraient effectuées pour des raisons de sécurité, afin d’aider la police à maintenir une zone sécuritaire pour le sommet. Aucune mention n’a été faite de la Loi sur la protection des ouvrages publics. La Loi n’a pas été mentionnée non plus durant les nombreuses réunions que l’ACLC a tenues avec les responsables du Service de police de Toronto en vue du sommet.

106   Le site Web du GIS pour le G8 et le G20, dans sa partie intitulée « Renseignements pour les manifestants », faisait référence au Code criminel du Canada, au Code de la route de l’Ontario et à la common law comme étant les textes de loi qui limitaient les droits et libertés de la Charte. Mais ce site ne disait pas mot sur la Loi sur la protection des ouvrages publics. Le site Web du Service de police de Toronto et celui de la Ville de Toronto ne donnaient aucun renseignement non plus sur cette Loi.

107   Les groupes de défense ont vigilamment cherché à minimiser les atteintes aux droits garantis par la Charte durant le sommet et à informer les manifestants pour qu’ils puissent exercer sans risques leur droit de protester. Ainsi, quand ils ont appris que la police avait acheté des dispositifs acoustiques à longue portée en vue du sommet, ils ont pris des mesures pour contester en justice l’utilisation de ces dispositifs afin d’atténuer les risques posés. Mais ces groupes ignoraient que l’arsenal du Service de police de Toronto renfermait une autre arme – une loi peu connue et peu utilisée : la Loi sur la protection des ouvrages publics. S’ils avaient eu connaissance de la Loi, ils auraient probablement pris des mesures similaires pour contester sa pertinence.

108   Durant les mois, les semaines et les jours qui ont précédé le sommet du G20, les groupes d’action et les organismes de défense des droits civils, qui ne soupçonnaient rien de tout cela, ont fait savoir aux manifestants qu’ils ne seraient pas tenus de répondre aux questions de la police ou de s’identifier durant une manifestation, et qu’ils ne seraient pas contraints de se laisser fouiller, sauf en cas d’arrestation. Ces renseignements étaient conformes aux garanties données par la Charte, mais ils ne reflétaient pas les pouvoirs extraordinaires conférés par la Loi sur la protection des ouvrages publics.

109   C’est un peu comme si la puissance exceptionnelle de cette Loi, qui n’avait servi à rien pendant des décennies, avait soudain été remarquée par quelqu’un qui s’était dit que son potentiel pouvait être exploité pour la sécurité du G20, puis avait donc ravivé très créativement cette relique des années de guerre.

110   Étant donné que, avant l’adoption du Règlement 233/10, une grande partie des discussions sur la Loi ont eu lieu en présence d’avocats et sont donc protégées par le secret professionnel, nous n’avons qu’une connaissance imparfaite des événements. Mais nous avons pu déterminer qu’au début du printemps 2010, les responsables de la planification de la sécurité et les avocats ont commencé à discuter le contexte juridique dans lequel une clôture de sécurité serait érigée pour le sommet du G20.

 

Rien de tel que de bonnes clôtures pour faire de bons voisins

111   Bien que la Loi sur les services policiers et les lois connexes comme le Code criminel du Canada ne disent rien sur le pouvoir d’ériger et de gérer les périmètres de sécurité, la common law vient compléter ces lois en accordant aux policiers le droit de recourir à des « pouvoirs justifiables » pour s’acquitter de leurs obligations de maintien de l’ordre, y compris leur mandat de veiller à la paix et de prévenir les actes criminels[22].

112   En ce qui concerne la sécurité des dirigeants internationaux, ce pouvoir est confirmé très précisément dans un jugement précédant la Charte, R. c. Knowlton[23]. Ce dossier portait sur la création et la gestion d’un périmètre de sécurité. La police avait bouclé une zone qui comprenait en partie une rue publique, pour des raisons de sécurité, en vue de la visite du chef de gouvernement de l’URSS. M. Knowlton avait voulu entrer dans cette zone pour y prendre des photos et il l’avait dit aux policiers. Il avait été averti que l’entrée de la zone était interdite et qu’il serait arrêté s’il essayait d’y pénétrer. M. Knowlton avait contesté le droit que revendiquaient les policiers de lui interdire l’accès à une zone publique. Les policiers avaient refusé de lui expliquer la source légale de leurs droits. M. Knowlton avait donc ignoré leurs avertissements, avait franchi le périmètre et avait été arrêté, puis accusé d’entrave à l’exercice des fonctions de la police. Il avait cherché à se défendre en objectant que la police n’était pas en droit de lui interdire d’entrer dans cette zone et qu’elle ne s’acquittait donc pas de ses devoirs quand il lui a désobéi.

113   La Cour suprême du Canada a reconnu que la police avait le devoir général de protéger le chef de gouvernement et qu’elle s’acquittait donc de ce devoir en tout temps. Mais la question était la suivante : était-il justifiable pour elle de créer un périmètre de sécurité pour s’acquitter de ce devoir? Oui, selon la Cour suprême du Canada, qui a déclaré :

C’est un fait de notoriété publique que la visite officielle d’un chef d’État ou d’un haut dignitaire d’un pays étranger, quels que soient les liens d’amitié qui existent, est un événement qui comporte fréquemment une menace réelle ou appréhendée pour le maintien de la paix et qui, par conséquent, demande l’adoption de mesures de sécurité convenables et raisonnables par le pays d’accueil[24].


114   La Cour suprême a souligné que les dirigeants canadiens savaient pertinemment que le chef de gouvernement de l’URSS avait été attaqué alors qu’il se trouvait à Ottawa et elle a déclaré que « les autorités policières n’avaient pas seulement le droit, mais étaient tenues, en tant qu’agents de la paix, d’empêcher que pareille attaque criminelle [...] ne se répète » et qu’elles « avaient l’obligation précise de prendre des mesures convenables et raisonnables », avec notamment le droit de restreindre le libre accès du public aux voies publiques. La Cour suprême a conclu que la restriction du libre accès par la police relevait clairement de l’ensemble des devoirs qui lui étaient confiés et qu’il n’était pas injustifiable pour elle de recourir à ses pouvoirs policiers dans de telles circonstances.

115   En vertu du droit international, le Canada est aussi tenu de protéger les dignitaires étrangers en territoire canadien[25]. Eu égard à cette obligation, la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales du gouvernement fédéral stipule que la GRC a la responsabilité première de la sécurité des conférences intergouvernementales et elle lui accorde des pouvoirs relativement vastes pour satisfaire à cet objectif de sécurité[26].

116   Mais comme l’a précisé l’ACLC dans son étude avant-sommet, toute mesure prise par la police locale ou par la GRC pour dresser des clôtures de sécurité doit être raisonnable, à la fois dans son fond et dans sa portée, pour être justifiable.

117   Nous avons été avisés par d’anciens membres du GIS que, pendant qu’ils discutaient l’application de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales pour établir les périmètres de sécurité des sommets du G8 et du G20, les avocats du Ministère et leurs homologues fédéraux avaient bien du mal à parvenir à une entente sur la juste interprétation de cette Loi. Cette loi fédérale ne confère pas de pouvoirs aux policiers municipaux et provinciaux qui travaillent aux côtés de la GRC pour gérer un périmètre de sécurité. En effet, une loi fédérale ne peut pas accorder de pouvoirs policiers aux agents de la paix provinciaux. Mais ce point semble avoir fait l’objet de débats parmi les avocats. En vertu de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, le gouvernement fédéral peut conclure des accords de sécurité avec toute province dans le cadre des rencontres internationales qui ont lieu au Canada[27]. Un dossier interne du Ministère indique que « les forces de police locale » avaient demandé que la province cherche à conclure un accord relevant de cette Loi. Le Service de police de Toronto et le Ministère semblaient croire que, si un accord était conclu, la sécurité des sommets s’en trouverait renforcée, tout comme le serait la légitimité de la mise en place d’une clôture de sécurité. Mais apparemment, les avocats fédéraux considéraient que la Loi ne pouvait pas être ainsi appliquée et se sont inquiétés du précédent qui serait alors créé.

118   Le 7 mai 2010, le sous-ministre de la Sécurité communautaire de l’Ontario a écrit à Sécurité publique Canada à propos d’un accord de sécurité. Au nom du Service de police de Toronto, les avocats de la Ville de Toronto ont aussi apparemment tenté d’obtenir l’inclusion de ce service de police dans un décret pris en application de la Loi et portant sur la sécurité du G20. Mais le gouvernement fédéral a refusé ces deux requêtes. En refusant celle du sous-ministre, les dirigeants fédéraux ont souligné que de tels arrangements ne renforceraient pas le pouvoir des policiers provinciaux ou municipaux. Ils ont aussi expliqué que les arrangements en vertu de cette Loi fédérale ont uniquement pour but de faciliter la consultation et la coopération entre les forces de police pour les projets conjoints et ils ont précisé que cette consultation et cette coopération avaient déjà été établies sans recourir aux arrangements officiels envisagés par la Loi.

119   Apparemment, la réticence du gouvernement fédéral à conclure un accord en vertu de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales a davantage poussé les responsables à se tourner vers la Loi sur la protection des ouvrages publics. En vertu de la Loi fédérale, la GRC semblait clairement pouvoir ériger et contrôler la clôture intérieure de sécurité pour la « zone rouge », mais le Service de police de Toronto croyait que, à moins qu’il n’obtienne un pouvoir délégué en vertu de cette Loi, il devrait se tourner vers d’autres sources pour obtenir le droit incontestable d’ériger et de contrôler la clôture extérieure de sécurité.

120   Durant notre enquête, un responsable ministériel a déclaré qu’il n’aurait pas été nécessaire de recourir à la Loi sur la protection des ouvrages publics si le gouvernement fédéral avait conclu un accord avec la province en vertu de la Loi fédérale. À en croire la documentation de l’OPP, il semble qu’à la fin mars, cette Loi provinciale faisait l’objet de sérieuses discussions à titre d’option.

121   Un courriel de l’OPP daté du 28 mars 2010, au sujet de la « Loi sur la protection des ouvrages publics – G8/G20 », indique que l’OPP ne montrait aucun intérêt particulier à exercer son pouvoir en vertu de ce texte de loi obscur à l’occasion du sommet du G8. Un surintendant de l’OPP a écrit à son surintendant en chef ce jour-là, en faisant ce commentaire :

Je connais cette Loi. C’est un texte de loi qui date de la guerre et qui a été révisé et mis à jour à l’époque des Néo-Démocrates. Nous l’avons beaucoup considéré dans le contexte de l’ordre public. Nous avons toujours pensé qu’il valait mieux le réserver à des périodes critiques, car il ne résisterait probablement pas à une contestation constitutionnelle la première fois qu’il serait appliqué. Ceci dit, je ne crois pas que nous ayons besoin de l’appliquer pour le G8. Avec la Loi sur les missions étrangères et les autres textes de loi actuels, rien n’est nécessaire pour le G8 à l’heure qu’il est.


122   Dans cette optique, quand les avocats du Ministère ont demandé à l'OPP si elle souhaitait obtenir une désignation dans le cadre de la Loi sur la protection des ouvrages publics, celle-ci a poliment répondu que non.

123   Les dossiers ministériels montrent que, bien avant la réception de la lettre du chef de la Police de Toronto le 12 mai 2010, le Ministère savait pertinemment que le Service de police de Toronto cherchait à obtenir une désignation en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics. D’après les dossiers internes du Ministère, le processus d’approbation de cette désignation était apparemment déjà planifié le 9 avril.

 

Assurer la sécurité du périmètre

124   Dans sa lettre du 12 mai au ministre, demandant une désignation en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics, le chef de la Police de Toronto a indiqué que son service et le Groupe intégré de la sécurité auraient recours à divers outils de loi pour ériger et contrôler le périmètre de sécurité du G20, notamment à la common law et, « si certaines conditions sont remplies, à la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales du gouvernement fédéral ». (Apparemment, le Service de police de Toronto espérait encore qu’un accord pourrait être conclu en vertu de cette Loi fédérale.)

125   Le chef de police a ainsi poursuivi :

… nous croyons que les dispositions de la Loi sur la protection des ouvrages publics (LPOP) de l’Ontario appuieraient aussi sur le plan légal les mesures extraordinaires de sécurité actuellement prises pour cet événement inhabituel. L’article 3 de la LPOP confère explicitement aux policiers des pouvoirs pour contrôler l’accès aux « ouvrages publics », qui seraient extrêmement utiles pour renforcer l’autorité légale existante des policiers quant au contrôle du périmètre de sécurité. Ces pouvoirs comprennent entre autres le droit d’exiger que les personnes entrant dans un ouvrage public s’identifient et indiquent la raison de leur entrée, ainsi que le droit de fouiller les gens et les véhicules qui tentent d’entrer.


126   Le chef de police a fait remarquer que la Loi autorise le lieutenant-gouverneur en conseil à désigner tout « bâtiment, lieu ou ouvrage » comme ouvrage public aux fins d’application de la loi et a demandé que cet article soit utilisé pour désigner comme ouvrages publics la zone du périmètre de sécurité ou les voies publiques à l’intérieur de ce périmètre (comme indiqué dans une annexe à la lettre du chef) du 21 juin jusqu’à la fin du sommet le 27 juin. Le chef de police a précisé ceci :

Ceci apporterait un appui supplémentaire précieux au Groupe intégré de la sécurité et au Service de police de Toronto dans les efforts faits par eux pour obtenir un fondement juridique solide quant à l’exercice des pouvoirs requis pour protéger les participants au sommet et pour assurer le haut niveau de sécurité exigé par cet événement.


127   Le chef de police a ensuite expliqué que, même si le contrôle de l’accès à la zone de sécurité était censé être restreint aux deux jours du sommet du G20, la désignation était demandée pour une période plus longue afin de « garantir un fondement juridique solide au contrôle de l’accès du périmètre, au cas où des questions de sécurité accrue exigeraient une plus longue restriction de l’accès ».

128   Nous n’avons pas pleinement connaissance du raisonnement suivi par le Service de police de Toronto pour tenter d’obtenir une désignation en vertu de la Loi. Mais un échange de courriels internes de l’OPP, le 17 mai, fait une référence intéressante à la raison motivant la demande d’une désignation. Un sous-commissaire de l’OPP avise alors son surintendant en ces termes :

D’après l’énoncé de leur courriel, ceci les aiderait à empêcher les gens d’entrer dans la zone d’accès contrôlé [ZAC] et dans la zone d’interdiction. Je croyais qu’ils cherchaient seulement à enrayer par là tout mouvement de grève.


129   À cette période, le personnel de plusieurs hôtels de la ville menaçait en effet de faire grève. Au Novotel, qui allait accueillir certains des participants au G20, des piquets de grève ont été créés le jeudi précédant le sommet et sont restés en place jusqu’au commencement de celui-ci.

130   Le 20 mai, plusieurs dirigeants ministériels ont rencontré le ministre pour l’informer de la requête du chef de police. Deux hauts responsables de l’OPP ont participé à cette rencontre par téléconférence. Les avocats du Ministère ont dirigé la séance d’information, et toutes les versions de la présentation de diapositives qui nous ont été envoyées ont été en partie occultées pour éliminer les « renseignements protégés par le secret professionnel ». Mais les documents de cette séance d’information indiquent que les « considérations de communications » suivantes étaient à l’ordre du jour :

… Le Ministère a en grande partie gardé le silence sur le G8/G20 et s’en est remis au GIS pour les questions de sécurité.

Une désignation en vertu de la LPOP pourrait mettre le Ministère, et plus précisément le ministre, à l’avant-scène des débats publics sur la sécurité des sommets.

Le ministre pourrait être critiqué pour avoir invoqué un texte de loi – conçu pour protéger la province en temps de guerre – afin de renforcer les pouvoirs policiers durant le sommet du G20.

Si la conduite de la police lors du G20 était critiquée, il pourrait être reproché au ministre que le recours à la LPOP a contribué à une telle conduite.

Invoquer la Loi pourrait prêter à croire que la police n’a pas actuellement le pouvoir d’arrêter et de fouiller les personnes entrant dans la zone d’interdiction.

Si le recours à la LPOP est perçu comme une réussite, du point de vue du maintien de l’ordre, les services policiers pourraient commencer à demander au Ministère de prendre des mesures similaires lors d’événements futurs, ce qui pourrait laisser croire que le Ministère s’ingère de plus près dans les opérations de maintien de l’ordre par la police.

RECOMMANDATION : Si la décision est d’autoriser la désignation en vertu de la LPOP, la stratégie de communications devrait être complètement réactive. Il faudrait concevoir des messages puissants et obtenir l’appui de tous les partenaires du GIS et du gouvernement fédéral.


131   Le document préparatoire de la réunion indique aussi que la désignation marquerait un changement de position pour le Ministère, jusqu’alors distant du G20, et qu’il n’existait aucun précédent connu de désignation d’ouvrages publics en vertu de la Loi. Ce document souligne également ceci :

… Il est possible que le droit dont relèvent ces mesures existe déjà en vertu de la common law ou de la LMEOI. La présence ou l’absence d’une désignation n’aura probablement aucun effet sur la planification opérationnelle du G20.


132   Plusieurs options avaient été préparées pour le ministre. Il était clair que le chef de police préférait l’option menant à désigner toute la zone d’interdiction comme un ouvrage public, y compris les résidences et les bureaux privés. Le fait qu’une désignation si vaste puisse susciter de fortes critiques a été souligné. Une deuxième option proposait que seules les voies publiques de la zone d’interdiction soient définies comme ouvrages publics. Dans le cadre d’une troisième option, la désignation s’appliquerait à tout ce qui était déjà considéré légalement comme ouvrage public dans la zone d’interdiction – y compris les voies publiques, les trottoirs, les ponts, les voies ferrées – de même qu’à un nombre limité de lieux situés sur le périmètre de sécurité qui ne faisaient pas déjà partie des ouvrages publics. Cette option était considérée comme un moyen de donner satisfaction au chef de police, tout en suscitant moins de critiques. Une quatrième option consistait à refuser tout simplement la désignation. Le seul « inconvénient » indiqué pour cette option qui n’a pas été dissimulé dans les documents que nous avons reçus était le suivant : cette option « serait perçue comme une absence d’appui au SPT [Service de police de Toronto] ».

133   Les étapes suivantes énumérées dans la présentation étaient entre autres de présenter le Règlement au Comité des lois et des règlements du Conseil des ministres au plus tard le 31 mai, d’obtenir la signature du Règlement et des documents du comité par le ministre et de publier le Règlement sur le site des Lois-en-ligne du gouvernement – ce qui pourrait se faire « peu avant que le SPT n’érige la clôture ».

134   Nous avons interviewé plusieurs personnes qui assistaient à la réunion du 20 mai et qui avaient pris part à des discussions antérieures sur la requête du chef de police. L’ancien commissaire de la Sécurité communautaire (actuellement le sous-ministre)[28], qui était responsable d’assurer la continuité des opérations gouvernementales durant le sommet du G20, a expliqué que, durant ses discussions internes, le Ministère avait considéré la justification et la nécessité de la désignation, ainsi que ses répercussions sur la population civile. Il a fait remarquer que le G20 était perçu comme « un événement sans précédent sur le plan de la sécurité d’un point de vue policier, d’un point de vue politique et d’un point de vue international ». Les dirigeants mondiaux qui y seraient présents avaient tous reçu « des menaces sérieuses quant à leur sécurité ». Le Canada était en guerre avec un pays ayant des affiliations terroristes et, récemment, une banque d’Ottawa avait été attaquée à la bombe incendiaire et des menaces de nouveaux actes de violence avaient été lancées. De plus, Toronto avait des infrastructures considérables, était le centre de l’industrie bancaire canadienne, se trouvait à proximité d’une centrale nucléaire et était la plus densément peuplée des grandes villes au Canada. Bien que soulignant la nature exceptionnelle du sommet du G20 et la nécessité d’assurer la sécurité des dignitaires et celle du public, le commissaire a précisé que la désignation des « ouvrages publics » était plutôt considérée comme « un renfort » pour consolider les pouvoirs déjà assurés par la Loi sur la protection des ouvrages publics et par la common law.

135   Un surintendant de l’OPP, qui représentait cet organisme au GIS, a participé à la réunion d’information du ministre. Il nous a fait savoir qu’il avait souligné le besoin de former les policiers de première ligne à la Loi sur la protection des ouvrages publics. Il a fait remarquer que la Loi était « un vieux texte de loi provincial » et « qu’à moins d’être dans un secteur spécialisé du maintien de l’ordre », les policiers ne connaîtraient pas ce texte, précisant qu’en fait « très, très peu de gens sauraient que cette loi existe ». Un courriel interne du Ministère, qui commentait la réunion d’information un peu plus tard dans la journée, a confirmé que le ministre « aimait » la suggestion du surintendant de l’OPP à propos d’une formation à donner aux policiers de Toronto pour s’assurer « qu’ils agissent correctement ». Le commissaire de la Sécurité communautaire nous a avisés que, durant les discussions sur le Règlement, il avait parlé au chef de police de la nécessité de familiariser les policiers avec cette Loi. Il nous a déclaré qu’il avait reçu des assurances à cet égard de la part du chef de police. Il a aussi obtenu la confirmation que le Règlement serait uniquement appliqué par des policiers et que le chef de police n’avait aucune intention de nommer des « gardiens » civils en vertu de cette Loi (la possibilité que des civils aient le droit d’exercer les pouvoirs extraordinaires conférés par cette Loi suscitait apparemment l’inquiétude de certains dirigeants du Ministère).

136   Le 21 mai, le ministre s’était décidé pour la troisième option présentée lors de la réunion d’information, option désignant comme ouvrages publics tous les ouvrages publics et quelques autres lieux à l’intérieur du périmètre de sécurité. Cette décision a été vue comme un compromis par rapport à la demande du chef de police. Le Bureau du premier ministre avait également été consulté et avait donné son approbation conditionnelle. Un courriel du Ministère résumant cette discussion indique ceci :

… [le Bureau du premier ministre] est d’accord pour que le feu vert soit donné, mais il voulait l’assurance que, s’il y avait un tollé public ou un dérapage, [le chef] pourrait déclarer publiquement qu’il avait fait cette demande parce qu’il considérait que le SPT avait besoin de cette désignation.


137   D’après un courriel ministériel, le chef de police aurait assuré au commissaire de la Sécurité communautaire qu’il était « prêt à déclarer publiquement que le SPT avait besoin de la désignation en vertu de la LPOP ».

138   Le Règlement a été présenté au Comité des lois et des règlements du Conseil des ministres le 31 mai, comme prévu. Le formulaire d’approbation ministérielle préparé pour le comité précisait que l’intérêt du public pour ce Règlement était « modéré » tandis que celui des principaux intéressés était « très prononcé ». Dans les notes préparatoires confidentielles à l’intention du comité, à la partie « Consultations des intéressés », il était indiqué que l’OPP, la GRC et Sécurité publique Canada étaient tous au courant de la demande de Règlement faite par le Service de police de Toronto. Dans la partie « Questions litigieuses », les préoccupations exprimées lors de la réunion d’information du ministre étaient énoncées. La « stratégie de mitigation » proposée demandait au Ministère d’être « discret et réactif » et d’« assurer un appui à tous les partenaires du GIS et au gouvernement fédéral (Sécurité publique Canada) ».

139   Nous avons reçu diverses versions occultées de notes d’allocution préparées pour le ministre en vue de sa participation au comité. La version la plus complète de ces notes souligne la nécessité d’assurer la sécurité lors du sommet du G20. Ces notes précisent que la Loi sur la protection des ouvrages publics existe depuis la Seconde Guerre mondiale et « qu’elle n’a jamais été invoquée parce que nous n’avons jamais senti le besoin de le faire de par le passé ». L’objectif du Règlement est généralement décrit comme étant « simplement de garantir que la police a clairement et incontestablement le pouvoir de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la réussite du sommet ». Quant aux répercussions du Règlement sur les citoyens, les notes ajoutent ceci :

Nous ne prenons pas de mesures drastiques pour restreindre les droits des individus, ni pour donner à la police le pouvoir illimité d’arrêter et de détenir les individus. Nous indiquons simplement au public qu’il y a de bonnes raisons de faire respecter les restrictions de la zone d’interdiction et que nous appuyons le Service de police de Toronto – ainsi que les autres membres du GIS – dans leurs efforts pour assurer la réussite du sommet du G20.


140   Dans une autre version, les notes disent que le Règlement ne changerait rien aux mesures de sécurité que le Service de police de Toronto avait l’intention de prendre.

141   Le 2 juin, lors d’une réunion spéciale, cinq membres du Conseil des ministres ont discuté ce Règlement et l’ont approuvé par un vote. Le lendemain, le lieutenant-gouverneur a officiellement signé le Règlement.

142   Ce n’est que le 15 juin que le Ministre a officiellement informé le chef du Service de police de Toronto que ce Règlement avait été adopté, dans une lettre où il a déclaré :

Je suis d’accord qu’il existe diverses sources légales pour appuyer le périmètre de sécurité. Je comprends aussi qu’il est souhaitable d’avoir des sources légales additionnelles pour clarifier le droit qu’aura le Service de police de Toronto de prendre les mesures qu’il sera appelé à prendre.


143   Alors que le Règlement avait pour objectif de « clarifier » ce point, nous avons constaté que les responsables ministériels ne comprenaient pas tous pareillement l’effet du Règlement. Certains avaient l’impression que le Règlement désignait toute la clôture extérieure de sécurité comme « ouvrage public », tandis que d’autres croyaient que c’était toute la zone à l’intérieur de la clôture, et que d’autres encore présumaient qu’il s’agissait uniquement de quelques lieux bien précis du périmètre de sécurité qui n’auraient pas relevé de la Loi autrement. Le texte complet du Règlement se trouve à l’Annexe C de ce rapport. À première vue, le Règlement semble poser un défi pour quiconque n’a pas de formation professionnelle en arpentage. Même le commissaire de la Sécurité communautaire a reconnu qu’il était rédigé « dans une langue d’avocats qui ont jugé que ces lieux avaient besoin d’être désignés » et que le texte était donc « plutôt compliqué », « prêtait à la confusion » et qu’il fallait une carte de la zone pour bien le comprendre.

 

Un ouvrage public, quel que soit le nom qu’on lui donne, reste un ouvrage public

144   Le premier paragraphe du Règlement 233/10 ne vise pas à créer de nouvelles catégories d’ouvrages publics. Fondamentalement, il désigne comme ouvrages publics l’infrastructure de transport – y compris les routes, les rues, les voies ferrées et les ponts, de même que les services publics déjà considérés comme ouvrages publics en vertu du paragraphe 1 a) de la Loi sur la protection des ouvrages publics et qui font partie de la zone géographique décrite à l’Annexe 1 du Règlement (périmètre de sécurité). Dans la mesure où ce paragraphe ne fait que confirmer que les ouvrages publics situés dans la zone d’interdiction sont bien des ouvrages publics, il semble redondant. Mais la description se poursuit : « Il est entendu, sans restrictions, que les trottoirs compris dans cette zone sont également désignés comme tels ». La définition d’un ouvrage public dans la Loi comprenait toute partie ou toute structure connexe d’une rue, mais ne faisait pas précisément référence aux trottoirs. Bien que les trottoirs soient probablement considérés comme des structures connexes à une rue, cette partie du Règlement semble avoir pour but de ne laisser aucun doute sur ce point.

145   Le deuxième paragraphe du Règlement stipulait que trois lieux décrits à l’Annexe 2 étaient également des ouvrages publics aux fins d’application de la Loi. Deux de ces lieux sont décrits comme se trouvant « en deçà de cinq mètres d’une ligne tracée » à partir de divers points géographiques. La troisième description ne fait aucune référence aux « cinq mètres ». On trouvera à l’Annexe D une copie de la carte que nous a transmis le Ministère, montrant les trois « lieux publics désignés ».

146   Le Règlement ne devait être appliqué que du 21 juin au 27 juin 2010, après quoi les trois lieux désignés dans le deuxième paragraphe reprendraient leur ancien statut. Mais tout élément considéré comme un ouvrage public avant l’application du Règlement resterait présumément protégé en vertu de la Loi, une fois que le Règlement aurait pris fin.

147   Un courriel ministériel daté du 25 juin – soit après l’éclatement de la controverse au sujet du Règlement – donne l’une des meilleures descriptions des ouvrages publics que le Règlement avait pour but de désigner. Ce courriel indique que les ouvrages publics couverts par le Règlement comprennent :

  1. Toutes les rues et tous les trottoirs à l’intérieur de la clôture, c.-à-d. toutes les rues et tous les trottoirs dans la « zone d’interdiction ».

  2. Une zone de cinq mètres à l’intérieur de la clôture là où la clôture passe le long de deux lieux qui ne sont pas des rues ou des trottoirs, soit plus précisément un terrain près du parking du Rogers Centre et un terrain derrière un bâtiment près du Rogers Centre.

  3. La « fosse » entre Union Station et la rue Front.

  4. En ce qui concerne la partie 1 ci-dessus, la clôture passe au centre de certaines rues. La partie de la rue à l’intérieur de la clôture de sécurité serait désignée. La partie à l’extérieur ne le serait pas.


148   Plusieurs hauts dirigeants du Ministère que nous avons interviewés ont déclaré que, vu la portée restreinte de ce Règlement, ils ne l’avaient pas jugé particulièrement intrusif ou sujet à controverse. Un haut dirigeant du gouvernement a expliqué que, comme seuls trois lieux distincts avaient été ajoutés en tant qu’ouvrages publics – lieux qui constituaient des ouvertures dans le périmètre de sécurité – il avait pensé que ce n’était pas d’une grande importance. Il a dit que, si le chef de police n’avait pas fait erreur quant aux limites des ouvrages publics couverts par le Règlement, personne n’aurait probablement fait beaucoup objection à ce Règlement.

149   Quant aux pouvoirs d’identifier et de fouiller les individus dans les ouvrages publics, les dirigeants ministériels ont laissé entendre que des mesures similaires de sécurité sont couramment en vigueur de nos jours dans les aéroports et pour les concerts de rock.

150   Bien que le Ministère ait apparemment cru que les répercussions du Règlement sur le public seraient minimales, il a reconnu que l’utilisation d’une loi sur les mesures de guerre pour aider le Service de police de Toronto à assurer la sécurité au sommet du G20 n’était pas vraiment une solution idéale. Comme un dirigeant ministériel l’a écrit par la suite dans un courriel interne, le 28 juin :

… même avec du recul, nous n’aurions pas agi de manière proactive. Autrement, nous aurions fait les nouvelles du pré-sommet : « La province promulgue des mesures de guerre pour le SPT en prévision du sommet ».


 

Le son du silence

151   Conformément au conseil donné au ministre lors de la réunion d’information du 20 mai, le Ministère a adopté une stratégie de communications réactive. Cette stratégie a consisté à ne communiquer publiquement aucun renseignement sur le Règlement, sauf si des questions bien précises étaient posées à son sujet au Ministère. Pour justifier le silence du Ministère sur ce Règlement, l’un des dirigeants ministériels nous a dit que le Ministère n’adopte jamais de stratégie proactive pour les règlements et que le processus habituel a tout simplement été suivi pour le Règlement 233/10. Mais un autre dirigeant ministériel a contredit cette affirmation en nous faisant savoir qu’il était arrivé que le Ministère annonce des règlements par des communiqués de presse ou des déclarations au public. Un autre dirigeant s’est montré plus franc et a fait remarquer qu’il était bien normal de ne rien ébruiter, dans les circonstances, étant donné qu’on pouvait s’attendre à « des réactions mitigées » au Règlement.

152   Le commissaire de la Sécurité communautaire nous a dit que, si le Ministère s’était montré réticent à attirer l’attention sur le Règlement, c’était parce que la province ne participait pas directement au sommet du G20, dont l’organisation était aux mains du gouvernement fédéral – le Groupe intégré de la sécurité étant responsable d’en assurer la sécurité. Il a indiqué qu’il appartenait au GIS de décider s’il fallait faire savoir publiquement ou non quelle était sa source d’autorité. Mais d’après ce que nous pouvons présumer, le principal contact du Ministère avant et après la promulgation du Règlement était le Service de police de Toronto, et non le GIS[29]. Certains membres de l’OPP, de la GRC et de Sécurité publique Canada ont peut-être joué un rôle dans l’examen ministériel de la demande du chef de police, mais la période entre la présentation de cette demande et la promulgation du Règlement a été très courte, et rien dans les dossiers n’indique la moindre consultation officielle avec le GIS ou d’autres intéressés.

153   Après le sommet, certains ont laissé entendre que le GIS avait été la force motrice de la demande de désignation d’ouvrages publics[30]. Mais les preuves que nous avons obtenues durant notre enquête montrent que c’est en fait le Service de police de Toronto qui a mené cette initiative. Certains dirigeants du GIS étaient au courant de la requête du chef de la Police de Toronto, mais apparemment ni la requête de désignation, ni le Règlement n’étaient généralement connus du GIS. Les porte-parole du GIS n’ont pas mentionné la Loi sur la protection des ouvrages publics quand les médias les ont interrogés, avant le sommet, sur les sources des pouvoirs du GIS quant aux mesures de sécurité pour le G20[31]. De plus, le site Web du GIS n’a fait aucune référence à la Loi ou au Règlement. Rien de ce que nous avons trouvé dans les dossiers ministériels n’indique que le GIS ait été officiellement informé de l’adoption du Règlement. Et les échanges de courriels au sein de son Équipe de communications et d’affaires publiques (acronyme anglais PACT) à partir du 24 juin semblent indiquer que le GIS n’avait aucune connaissance de la Loi ou du Règlement avant ce jour-là[32]. En fait, le 29 juin, un responsable du GIS PACT a écrit au Ministère en ces termes :

Le PACT n’a pas eu connaissance du Règlement avant que toute l’histoire n’éclate – y compris la GRC. Le SPT a gardé tout ça très confidentiel et personne au Ministère ne nous en a parlé.


154   Le 1er juillet, un dirigeant de l’OPP a écrit un courriel confirmant que le Règlement « résultait clairement d’une requête du SPT ». Remarquablement, quand nous avons parlé à l’ancien responsable de la GRC qui était placé à la tête du comité directeur du GIS, il nous a dit qu’il avait été « abasourdi » quand il avait vu la conférence de presse du chef de la Police de Toronto le 25 juin, alors qu’il était au quartier général du GIS à Barrie – et qu’il avait alors entendu parler du Règlement pour la toute première fois.

155   Alors que le Règlement 233/10 touchait une grande partie du centre-ville de Toronto, le Ministère n’a aucunement cherché à consulter les dirigeants municipaux à propos des répercussions de la désignation d’ouvrages publics. Les dossiers ministériels indiquent que le commissaire de la Sécurité communautaire a demandé au chef de police s’il avait informé l’Hôtel de Ville. Mais un courriel du Ministère datant du 25 mai confirme que le chef de police a déclaré qu’il n’avait pas consulté le conseil municipal de Toronto « en raison des contraintes de temps ». Durant notre enquête, les responsables municipaux ont maintenu qu’eux aussi n’avaient appris l’existence du Règlement qu’après son annonce dans les nouvelles.

156   Exception faite des dirigeants du Ministère et du Service de police de Toronto, il semble donc que seules quelques personnes isolées – surtout des avocats d’autres organismes participant à la planification du G20 – étaient au courant du Règlement et que les renseignements à son sujet n’étaient pas arrivés jusqu’aux cadres de direction de la Ville ou du GIS. Le Ministère semble avoir adopté une approche de « non-intervention » avec les organisateurs de la sécurité du G20, laissant au Service de police de Toronto la discrétion d’aviser ses partenaires du GIS et d’autres intéressés quant au Règlement.

157   Lors de la réunion d’information du ministre le 20 mai, certains ont suggéré que la divulgation publique du Règlement devrait se faire peu avant la mise en place de la clôture de sécurité. L’un des responsables ministériels nous a dit que les renseignements sur la justification de repousser la divulgation publique du Règlement étaient protégés en vertu du « secret professionnel » et ne pouvaient pas nous être communiqués. Mais la décision de repousser la divulgation du Règlement était probablement liée au souci de garder confidentiel l’emplacement de la clôture, pour des raisons de sécurité. Un document vient le confirmer : nous avons trouvé un courriel ministériel datant du 30 juin qui précise que cette approche discrète avait été adoptée pour trouver « suffisamment de temps afin de finaliser le périmètre exact… et pour donner au SPT suffisamment de temps afin de communiquer l’applicabilité du Règlement aux commandants des incidents et aux policiers de première ligne ».

158   La transcription d’un échange entre le Bureau du ministre et celui du sous-ministre le 7 juin fait cette référence à l’approche discrète adoptée par le Ministère :

… Ceci fait suite à [notre] conversation que nous avons eue précédemment à propos de la désignation des ouvrages publics. Oui, nous sommes d’accord, tout le monde s’est entendu pour remettre la communication de cette information au public aussi longtemps qu’il est raisonnable de le faire. Alors, pas de précipitation. Oui, d’accord pour la communiquer discrètement [au chef de police] pour qu’il puisse poursuivre sa planification. Aussi longtemps que nous pouvons souligner du mieux possible qu’il faut camoufler ça jusqu’à ce que nous soyons prêts à en informer le public, ce serait bien…


 

Camoufler l’information

159   Les lois sont adoptées par l’Assemblée législative, considérées et débattues aux yeux du public. En général, quand de nouveaux pouvoirs de maintien de l’ordre sont créés, ou quand des pouvoirs existants sont modifiés par la loi, c’est ce processus ouvert qui est suivi. Les mesures législatives subordonnées, entre autres les décrets en conseil et les règlements, sont typiquement considérées lors de sessions confidentielles du Conseil des ministres, puis officiellement ratifiées par le lieutenant-gouverneur.

160   Au départ, le Ministère avait envisagé de recourir à un décret en conseil pour obtenir la désignation d’ouvrages publics. S’il avait retenu cette option, la désignation n’aurait probablement jamais fait surface, étant donné que rien n’exige que de tels outils de loi soient rendus publics. Généralement, les règlements sont confidentiels jusqu’à ce qu’ils soient inscrits au Registre de réglementation, conformément à la Loi sur la législation[33], moment à partir duquel le public peut les examiner – mais encore faut-il être au courant de leur existence. Une fois inscrits au Registre de réglementation, les règlements sont communiqués sur le site des Lois-en-ligne du gouvernement puis imprimés dans La Gazette de l’Ontario.

161   Bien qu’officiellement approuvé le 3 juin, le Règlement 233/10 n’a été inscrit au Registre que le 14 juin. Et ce n’est que deux jours plus tard qu’il a été affiché sur le site des Lois-en-ligne du gouvernement. Au dernier moment, soit le 16 juin, le public était censé avoir connaissance du Règlement 233/10, en vertu de la Loi sur la législation, étant donné qu’il était publié sur le site des Lois-en-ligne. Le Règlement est ensuite paru dans le numéro du 3 juillet de La Gazette de l’Ontario, mais c'était déjà trop tard puisqu’il n’était plus en vigueur.

162   Certes, le Règlement 233/10 était présent sur les Lois-en-ligne le 16 juin, mais pour le trouver, il aurait tout d’abord fallu être au courant de l’existence de ce site et de celle de la Loi sur la protection des ouvrages publics, puis chercher la Loi sur ce site pour arriver au Règlement. Comme le site des Lois-en-ligne renferme un contenu juridique technique, le grand public n’en a généralement pas connaissance et presque personne ne le consulte régulièrement. Même les avocats n’ont tendance à le visiter que pour y trouver quelque chose de très précis.

163   Bien que le dépôt et la publication du Règlement aient modifié son caractère légal et aient constitué techniquement un avis au public, il est fort peu probable que quiconque ait repéré et lu ce Règlement avant le 24 juin, date où l’arrestation de Dave Vasey l’a fait connaître au public. De toute évidence, M. Vasey n’a jamais eu l’occasion de consulter le site des Lois-en-ligne avant son arrestation, et même s’il l’avait fait, il n’aurait probablement pas su qu’il devait y chercher ce Règlement. Comme l’a souligné un avocat du Ministère dans un courriel interne le 28 juin :

… il faut bien se souvenir que le dépôt du Règlement en soi n’aurait pas constitué en pratique un avis au grand public. Personne ne regarde les Lois-en-ligne tous les jours pour y trouver de nouveaux règlements en application de la LPOP… Pourtant, une fois déposé, un règlement ne peut plus être considéré confidentiel aux termes de la loi. Le dépôt d’un règlement n’est pas vraiment un avis au public, mais le règlement perd alors son statut confidentiel/protégé.


164   Le Ministère surveillait de près les médias et les sites sociaux pour voir quels renseignements ils donnaient sur le sommet. Les jours précédant la tenue du sommet se sont caractérisés par une absence notable de tout renseignement sur la Loi sur la protection des ouvrages publics et sur le Règlement 233/10. En fait, le mercredi 23 juin, un article est paru[34] dans la presse disant que les mesures de sécurité dans la zone « jaune » d’interdiction ne s’appuyaient sur aucune base législative. Cet article a incité un avocat du Ministère à envoyer un courriel le lendemain, déclarant : « C’est un avertissement qui nous montre que nous devrons être préparés sur le plan des communications quand le Règlement sera connu du public. » Un autre dirigeant ministériel a indiqué alors que le Service de police de Toronto voudrait peut-être faire référence à la Loi sur la protection des ouvrages publics comme l’un des outils de loi dont il disposait pour assurer la sécurité. Cette suggestion a déclenché un débat frénétique au Ministère sur la nécessité de « prendre contact avec le Service de police de Toronto » pour savoir quelle était sa stratégie de communications. Peu après, un responsable ministériel a contacté l’Équipe de communications et d’affaires publiques du GIS pour faciliter un appel au Service de police de Toronto au sujet de la Loi. Sans tarder, le représentant du GIS a communiqué avec le Service de police de Toronto mais, ce faisant, il a dit qu’il ne connaissait pas vraiment la Loi à laquelle le Ministère faisait référence.

165   Le commissaire de la Sécurité publique a avisé nos enquêteurs qu’il avait parlé au chef de police le jeudi 24 juin, pour confirmer quelle stratégie de communications la Police de Toronto avait l’intention de suivre. D’après les dossiers ministériels, l’appel a eu lieu à environ 15 h 50. Apparemment, les deux organismes étaient alors encore satisfaits de suivre leur « approche discrète » et de s’abstenir de communiquer publiquement tout renseignement sur la Loi et le Règlement.

166   À 15 h 54, un responsable ministériel a alerté le ministre par courriel, lui disant que le Service de police de Toronto avait été critiqué pour les fouilles qu’il faisait, et il a précisé ceci : « Ce n’est pas ce que nous avions anticipé en leur accordant ceci, je crois. Nous sommes maintenant sous les feux des projecteurs ». Ce commentaire, fait alors même que M. Vasey était arrêté, s’est avéré intuitif.

167   Une fois que l’Équipe de communications et d’affaires publiques du GIS a été avertie de l’existence de la Loi, elle a conféré avec le Service de police de Toronto à propos de la stratégie de communications à suivre. Dans un courriel envoyé à 16 h 19, un membre de l’équipe précise :

J’ai parlé au SPT et le chef est très… très clair sur le fait qu’ils ne parleront pas de la LPOP, et aucun de nos responsables des médias ne le fera non plus. Jusqu’à présent, pas d’appel, alors pas de « pression ».


168   À 17 h ce jour-là, le Law Union’s Movement Defence Committee a émis une alerte urgente sur son site Web, résumant la Loi à l’intention des manifestants. Un peu plus tard, l’Association canadienne des libertés civiles a envoyé une alerte similaire. Le Ministère a repéré ces communications sur Internet et s’est préparé à l’inévitable tempête des appels des médias. La première demande d’information à propos du Règlement est arrivée vers 20 h ce soir-là, provenant d’un journaliste à Queen’s Park.

169   Quelques heures plus tard, un membre de l’Équipe de communications et d’affaires publiques du GIS a prédit que « le problème » posé par les policiers qui utilisaient « un règlement spécialement accordé » pour « exiger des gens leurs papiers d’identité, etc. » allait « s’amplifier » et il a suggéré au Service de police de Toronto que « ce serait une bonne idée d’informer les policiers du caractère sensible » de cette « question émergente ».

170   Avant la fin de la nuit, de nombreux rapports de presse ont circulé à propos de la Loi sur la protection des ouvrages publics et du Règlement pour le G20. Dès le vendredi matin, le Ministère a reçu des demandes de journalistes et de membres du public à propos des « vastes pouvoirs de la police » et de la « loi secrète » dans la zone de sécurité.

 

La dégringolade du sommet

171   Face à l’intérêt des médias pour le Règlement, le Ministère a continué de suivre sa stratégie réactive, répondant à un journaliste à la fois.

172   Alors que certains documents ministériels font référence au Règlement 233/10 en disant qu’il investissait le Service de police de Toronto d’« une autorité légale supplémentaire » pour assurer la sécurité dans la zone d’interdiction, le Ministère a minimisé les répercussions de la désignation des ouvrages publics dans ses communications avec les médias. Il a souligné aux journalistes que le Règlement avait été adopté en réponse à une requête extraordinaire du chef de police, qu’il ne conférait pas de pouvoirs supplémentaires aux forces de police, mais qu’il définissait tout simplement la propriété et que les pouvoirs en place ne s’appliquaient qu’aux personnes qui tenteraient de franchir le périmètre de sécurité et d’entrer dans la zone désignée. Le Ministère a aussi expliqué que le Règlement n’était pas une « loi secrète » mais qu’il avait été promulgué de la même manière que tout autre règlement gouvernemental.

173   Ce vendredi matin, le Ministère croyait donc contrôler la situation quant aux médias mais, à 11 h, le chef de police a tenu une conférence de presse qui allait bouleverser la donne. Durant cette conférence, il a fait remarquer que « la zone des cinq mètres autour de la clôture est là pour la protection de la barrière de sécurité ». Ceci a conduit les médias à comprendre erronément, puis à communiquer, que la zone de sécurité s’étendait sur cinq mètres au-delà de la clôture du périmètre.

174   Le commentaire du chef de police a pris le Ministère par surprise. Le commissaire de la Sécurité communautaire nous a dit que l’application du Règlement 233/10 « au-delà de la clôture » était bien « la dernière chose » que voulait le Ministère. Il a précisé qu’il avait appelé le chef de police pour savoir ce qui se passait. Quand ils se sont parlé, le chef de police savait déjà qu’il avait commis une gaffe et il a assuré au commissaire qu’il prenait les mesures nécessaires pour informer correctement ses policiers de la portée de la Loi sur la protection des ouvrages publics. Le commissaire a dit à nos enquêteurs qu’il avait donc eu l’impression, après cet appel, que le chef de police rectifierait publiquement sa déclaration erronée.

175   Le vendredi après-midi, certains dirigeants ministériels considéraient qu’il était temps de changer de tactique et de clarifier publiquement le Règlement, pour redresser la situation. L’équipe de communications a ébauché un communiqué de presse, qui donnait entre autres les renseignements suivants :

Le G20 est un événement sans précédent pour Toronto. Il a créé des circonstances et des défis tout à fait uniques pour le Service de police de Toronto. En adoptant le Règlement, le gouvernement de l’Ontario a répondu à une requête du Service de police de Toronto lui demandant de désigner la zone de sécurité comme ouvrage public en vertu de la Loi.

Le règlement temporaire, qui prend fin le 28 juin, s’applique uniquement aux personnes qui souhaitent entrer dans la zone de sécurité. Il n’autorise pas les policiers à contraindre les individus de se laisser fouiller dans les rues et sur les trottoirs en dehors de la zone.


176   L’ébauche de communiqué comprenait aussi cette citation du ministre :

Ce Règlement est en place pour garantir que la police a clairement l’autorité légale de prendre certaines mesures de sécurité afin de protéger la communauté et de maintenir l’ordre public. L’autorisation est limitée et s’applique uniquement aux personnes qui cherchent à entrer dans la zone de sécurité.


177   Dans cette ébauche de communiqué, le Ministère a bien pris soin de ne pas attirer l’attention sur le fait que la Loi était « un texte de loi de mesures de guerre » et de le garder « à haut niveau ». Un peu plus tard ce jour-là, les responsables ministériels ont révisé l’ébauche du communiqué de presse pour en faire une déclaration du ministre et ils se sont servis des renseignements donnés dans cette déclaration pour répondre aux demandes des médias. En fin de journée, le Ministère avait décidé d’abandonner complètement l’idée de publiciser la question. Comme un responsable l’a expliqué à notre Bureau, le Ministère croyait avoir pris le contrôle de la situation. Il n’avait reçu qu’un seul appel des médias demandant des renseignements sur la règle des cinq mètres, et le cycle des nouvelles semblait bouclé. Le Ministère pensait donc qu’il avait « rectifié les choses » par ses réponses individuelles aux médias.

178   Ce vendredi 25 juin, l’Association canadienne des libertés civiles et d’autres requérants ont partiellement obtenu satisfaction en justice quant à certaines restrictions d’utilisation des dispositifs acoustiques à longue portée par le Service de police de Toronto[35]. Bien qu’encouragée par ce résultat, l’ACLC restait profondément préoccupée par l’adoption du Règlement 233/10 et par ses répercussions. Elle a écrit au ministre ce même jour, demandant qu’il clarifie les intentions du Ministère et exprimant son appréhension :

… le public n’a aucunement été avisé que la Loi sur la protection des ouvrages publics serait invoquée comme base légale pour détenir, interroger, fouiller et arrêter les individus sur les voies publiques et les trottoirs.


179   Dans sa lettre au ministre, l’ACLC a souligné que « les pouvoirs conférés par la Loi diffèrent grandement de la compréhension qu’on se fait généralement des droits garantis constitutionnellement aux individus sur les voies publiques ou les trottoirs ». Dans cette même lettre, elle critiquait vivement le manque de consultation et le secret qui avait généralement entouré l’adoption du Règlement 233/10 :

Créer et adopter secrètement des règlements qui érodent considérablement les droits démocratiques, puis appliquer ces nouvelles lois sans donner aucun préavis au public ou à la communauté juridique, c’est se dérober à l’obligation démocratique de rendre des comptes et c’est exposer des innocents au risque d’une arrestation et d’une condamnation pour acte criminel.

Il est clair que le gouvernement a pris des mesures pour significativement restreindre les droits légaux des individus sur des propriétés publiques, d’une manière qui diverge fortement de la compréhension qu’on se fait d’ordinaire des libertés civiles. Omettre de citer ce nouveau pouvoir légal hautement controversé, ou de clarifier la position du gouvernement sur les limites légales aux droits constitutionnels des individus, est sans précédent. Nous vous prions instamment d’enquêter sur la question. À notre avis, les Torontois ont été trompés.


180   Le Service de police de Toronto ayant souligné qu’il ne voulait pas que le GIS parle publiquement de la Loi, l’équipe de communications du GIS a été prise de court quand elle a appris la nouvelle de son existence et a essayé de se préparer en toute hâte à répondre aux éventuelles demandes de renseignements. Comprenant que ce Règlement pouvait poser problème sur le plan constitutionnel, un avocat du gouvernement fédéral a recommandé le vendredi 25 juin que le GIS adopte une stratégie médiatique qui lui permette de renvoyer la balle à la province pour les questions sur la validité constitutionnelle du Règlement. Les questions et réponses ébauchées pour les journalistes étaient ainsi énoncées : « Q : Pensez-vous que l’utilisation de ce Règlement par le SPT est constitutionnelle? R : Vous voudrez peut-être adresser cette question au gouvernement de l’Ontario… » La proposition fédérale a embarrassé les dirigeants ontariens. Après avoir examiné les ébauches de communiqués tard ce soir-là, un avocat du Ministère a écrit ceci dans un courriel : « Je ne crois pas que ce genre de messages conçus par les avocats du gouvernement fédéral puissent le moindrement aider l’Ontario. » Dans leur forme finale, le samedi 26 juin, les messages du GIS pour les médias disaient simplement : « Q : Pensez-vous que l’utilisation de ce Règlement par le SPT est constitutionnelle? R : Ce type de question est tranché en fin de compte par les cours de justice… »

181   Le samedi 26 juin, le chef de police n’avait toujours donné aucune explication au public. De plus, malgré les efforts soutenus des responsables ministériels pour expliquer la portée du Règlement individuellement aux journalistes, les médias continuaient de faire faussement référence à la « règle des cinq mètres ». La surveillance des médias sociaux par le Ministère montrait aussi que la police interpellait et fouillait des gens en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics bien au-delà de la zone de sécurité.

182   Bien que le chef de police n’ait fait aucune annonce publique pour rectifier ses commentaires précédents sur la « règle des cinq mètres », il a donné la preuve au Ministère qu’il avait clarifié ce point pour les policiers torontois. Vers 11 h le samedi matin, le chef de police a fourni au commissaire la copie d’un courriel où se trouvait l’avis de l’avocat du chef de police disant que la Loi « ne s’étend PAS en dehors de la clôture », ainsi qu’un document comprenant de nouvelles instructions aux policiers au sujet de la Loi. Ces instructions résumaient la Loi et le Règlement et indiquaient en détail dans quelles circonstances les pouvoirs conférés par la Loi pouvaient être exercés :

La LPOP et le Règlement ne confèrent pas le droit à un policier de contraindre les gens à s’identifier, à se laisser fouiller et à risquer une arrestation pour ne pas avoir obéi à ces ordres, sauf dans les situations où quelqu’un entre, ou cherche à entrer, dans la zone désignée. La zone désignée par le Règlement en tant qu’ouvrage public ne s’étend pas en dehors du périmètre de la clôture.

En général, ceci couvre une attaque sur la ligne de la clôture.


183   Les instructions disaient aussi ceci :

En ce qui concerne les dispositions relatives aux fouilles, comme toujours, les policiers doivent pouvoir expliquer leurs raisons de procéder à une fouille, par exemple en exposant les observations ou les circonstances qui les ont menés à croire que la personne peut représenter une menace pour un ouvrage public. Comme dans tout cas, la fouille doit être autorisée par la loi, la loi doit être raisonnable et la manière d’effectuer la fouille doit être raisonnable.


184   Les instructions se terminaient par une liste des « raisons d’utiliser la Loi et d’obtenir une désignation pour la ZI [zone d’interdiction] et la clôture ». Cette partie faisait référence au fait que la police avait toujours eu le droit, en vertu de la Loi, de protéger les ouvrages publics, mais précisait que cette autorité pouvait uniquement être exercée dans la zone d’interdiction pour assurer la sécurité des personnes légalement dans cette zone et pour protéger la clôture de sécurité. La liste faisait aussi référence à des messages publics de menaces de « destruction de la clôture » et indiquait que le but du Règlement n’était pas de limiter les manifestations pacifiques près du périmètre.

185   On ne sait pas clairement quand et comment ces nouvelles instructions ont été transmises aux policiers de première ligne. De toute évidence, la police a reçu une certaine formation au sujet de la Loi sur la protection des ouvrages publics avant le sommet, étant donné que la Loi a été invoquée lors des fouilles dans les jours qui ont précédé le sommet. Les renseignements recueillis au cours de notre enquête montrent aussi que certains policiers ont continué d’appliquer la Loi bien au-delà du périmètre de sécurité même après la clarification de la portée du Règlement 233/10.

186   L’après-midi du 26 juin, la controverse à propos du Règlement 233/10 et de la « règle des cinq mètres » avait quelque peu été oubliée en raison de la fureur provoquée par le déchaînement du « bloc noir » et par les arrestations et détentions massives. Ce n’est que le 29 juin, alors que le sommet était terminé et que la désignation des ouvrages publics avait pris fin, que le chef de police a reconnu que la « règle des cinq mètres » n’avait jamais existé. Les nouvelles qui couraient alors disaient que la police avait délibérément falsifié les limites des ouvrages publics désignés pour « interdire l’entrée aux criminels » – pour citer le chef de police.

187   Alors que les ondes de choc faisaient place au calme après la fin de semaine du sommet du G20, le Ministère a cherché à limiter les dégâts quant au rôle qu’il avait joué dans le recours sans précédent à la Loi sur la protection des ouvrages publics.

 

Ne me dites aucun secret, je ne vous dirai aucun mensonge

188   Lors de sa conférence de presse du 29 juin, le chef de police de Toronto a vigoureusement défendu les mesures de sécurité prises durant le sommet. Voulant faire taire les critiques qui disaient que les pouvoirs légaux invoqués pour maintenir l’ordre dans la zone de sécurité avaient été gardés secrets, il a souligné que la Ville avait fait des publicités dans plusieurs langues et distribué plus d’un million de brochures expliquant les pouvoirs autorisés durant cet événement et le contexte ainsi créé pour les citoyens dans la zone de sécurité.

189   Le lendemain, le ministre de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a écrit à deux journaux, soulignant lui aussi que les renseignements sur les fouilles dans la zone de sécurité avaient été amplement communiqués par des avis publics, notamment par des annonces dans les journaux locaux et sur le site Web du G20 mis en ligne par la Ville de Toronto. Dans les jours qui ont suivi le sommet, le gouvernement a continué de faire référence à ces publicités et à ces avis sur les sites Web pour maintenir que des renseignements sur les répercussions du Règlement avaient été communiqués au public avant le sommet. Durant notre enquête, le commissaire de la Sécurité communautaire nous a également fait savoir que le Ministère croyait que les retombées du Règlement avait été clairement expliquées dans des brochures, des feuillets d’information et sur des sites Web.

190   L’une des principales sources locales d’information sur le sommet du G20 était la Ville de Toronto. Ses dirigeants ont effectivement mené une vaste campagne de sensibilisation du public en vue du sommet.

191   Le 31 mai 2010, la Ville de Toronto a commencé la distribution d’un million d’exemplaires du numéro d’été de Our Toronto, comprenant un article intitulé « À quoi s’attendre pendant le G20 – 26 et 27 juin 2010 ». Cet article parlait des zones de sécurité, ainsi que des questions de circulation routière et de transport public durant le sommet. La Ville prévoyait alors que la sécurité accrue n’aurait pas de répercussions sur la liberté de circuler dans la zone de sécurité jusqu’au vendredi soir :

Les services policiers de Toronto espèrent que les membres du public seront en mesure de se déplacer librement dans le périmètre clôturé jusque dans la soirée du vendredi 25 juin.


192   La Ville a aussi distribué quelque 10 000 feuillets d’information aux résidents de la zone touchée. Ces feuillets donnaient des renseignements généraux sur la sécurité durant le sommet et sur ses répercussions pour la circulation routière.

193   Ni l’article ni les feuillets distribués ne mentionnaient la Loi sur la protection des ouvrages publics, le Règlement 233/10 ou la possibilité que les citoyens soient contraints de s’identifier et de se laisser fouiller s’ils voulaient entrer dans la zone de sécurité du 21 juin au 27 juin. Les dirigeants municipaux ont dit à nos enquêteurs que les renseignements donnés dans cet article et dans les feuillets d’information étaient venus du GIS, ou avaient été approuvés par lui, et que la Ville ignorait alors complètement que le chef de police avait demandé une désignation en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics.

194   La Ville avait aussi préparé des annonces sur le sommet du G20 pour les journaux locaux, en consultation avec le GIS. Les dirigeants municipaux nous ont avisés que, le 13 juin, le Service de police de Toronto avait contacté le personnel des communications de la Ville et avait demandé que les renseignements suivants soient insérés dans ses publicités sur le G20 :

… en fonction du pouvoir discrétionnaire du policier et des circonstances présentées, quiconque veut avoir accès au périmètre de sécurité pourra être fouillé. Les véhicules feront l’objet d’une fouille externe à l’aide d’un miroir donnant accès au dessous du châssis et les coffres seront fouillés. Ces fouilles seront faites pour des raisons de sécurité, afin d’aider la police à assurer un environnement sécuritaire durant le sommet.


195   Apparemment, aucune explication n’a été donnée quant aux raisons pour lesquelles la police considérait que ces renseignements supplémentaires étaient nécessaires et il était trop tard alors pour que la Ville change ses publicités, qui étaient prêtes à être publiées. La version originale des publicités, qui ne mentionnait pas les fouilles, est parue dans la presse ethnique dans 11 langues du 16 juin au 25 juin. Elle est également parue dans le Toronto Star et le Toronto Sun le 16 juin, ainsi que dans les journaux communautaires Metroland le 17 juin.

196   La version modifiée qui comprenait le texte supplémentaire proposé par la Police de Toronto est parue pour la première fois le 19 juin dans le Toronto Star. Puis elle a été publiée à la fois dans le Toronto Star et le Toronto Sun le 21 juin, et de nouveau dans le Toronto Star les 26 et 27 juin. La version modifiée des publicités est parue uniquement en anglais. Des renseignements similaires ont été communiqués sur le site Web de la Ville de Toronto.

197   Comme indiqué précédemment, le site Web du GIS, qui comprenait des renseignements sur le sommet du G20 à l’intention des manifestants, ne faisait référence ni à la Loi sur la protection des ouvrages publics, ni au Règlement 233/10, pas plus qu’aux pouvoirs policiers conférés par la Loi. Mais à un certain moment, il a été mis à jour pour inclure un lien vers la publicité modifiée parue sur le site de la Ville de Toronto. Le site Web du Service de police de Toronto a continué à ne donner aucun renseignement sur la Loi ou sur le Règlement 233/10.

198   Le samedi soir 26 juin, le Ministère cherchait désespérément à défendre son rôle quant au Règlement 233/10 et tentait de trouver des preuves que le public avait été avisé des mesures accrues de sécurité prises pour le sommet. À cette fin, il a organisé une téléconférence avec les dirigeants municipaux pour le lendemain. Apparemment, les discussions du 27 juin ont été plutôt vives. Comme l’a dit un témoin, les dirigeants municipaux ont clairement fait savoir qu’ils n’avaient aucune connaissance du Règlement 233/10 au moment où la campagne publicitaire avait été faite et qu’il serait « perfide » de suggérer que les publicités avaient pour but de donner « le moindre avis » sur ce Règlement. Cette version des événements est étayée par un courriel envoyé un peu plus tard ce jour-là au Ministère par un dirigeant municipal qui avait participé à la réunion :

… les communications faites par la Ville au sujet du G20 avaient pour objectif de renforcer et de compléter le rôle de chef de file de l’équipe de communications du GIS dirigée par la GRC… le personnel de communications qui a travaillé au G20… a appris l’existence du Règlement quand les médias en ont parlé. C’est pourquoi aucun lien – direct ou indirect – ne devrait être fait, de quelconque manière, entre la réglementation et les publicités ou les communications de la Ville… aucune de ces communications ne devrait être considérée comme un « avis » ou une « annonce » du Règlement… nous ne voyons pas comment le fait de montrer du doigt les services de communications publiques de la Ville dans les discussions sur la Loi ou la réglementation peut contribuer à expliquer les pouvoirs conférés en vertu de la Loi ou du nouveau Règlement.


199   La version modifiée de la publicité disait qu’il se pourrait que les gens soient fouillés s’ils voulaient franchir le périmètre de sécurité. Étant donné que cette publicité est parue deux jours avant que le chef de police reçoive la confirmation officielle de la promulgation du Règlement, il est impossible de croire sérieusement qu’elle avait pour objectif d’aviser le public du Règlement 233/10 ou des dispositions de la Loi sur la protection des ouvrages publics. Cette publicité ne fait aucune mention de la Loi ou du Règlement, et les renseignements donnés sur l’envergure des pouvoirs policiers en vertu de la Loi sont bien trop incomplets pour un tel objectif. Cette publicité ne dit pas un mot sur l’obligation de s’identifier, ni sur la possibilité que les gens soient non seulement repoussés mais arrêtés tout simplement pour avoir refusé de s’identifier ou de se laisser fouiller. En outre, rien n’indique durant quelle période les mesures de sécurité accrues seront appliquées.

200   Dans les jours qui ont suivi le sommet, le personnel de communications du Ministère est resté sur la défensive face aux demandes de renseignements des médias. Dans un cas, un responsable a fait cette déclaration inexacte à un journaliste : « Notre Règlement n’a pas donné à la police un iota de pouvoir de plus que ce qu’elle avait avant sa promulgation ». Dans un autre cas, un porte-parole du gouvernement a fait savoir que l’application du Règlement par la police durant la fin de semaine était de nature opérationnelle, et que le Ministère ne pouvait pas s’ingérer dans les décisions opérationnelles, précisant par ailleurs que « le langage du Règlement était très clair ». Par contre, ce même responsable a reconnu que le Règlement « prêtait à confusion », mais il a nié son importance, affirmant de manière tout à fait inexacte qu’il n’y avait jamais eu la moindre arrestation en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics[36].

201   Le mantra que le Règlement 233/10 ne conférait à la police aucun nouveau pouvoir, ni une vaste autorité, et qu’il avait été adopté de la même manière que tous les autres règlements de l’Ontario a été repris fréquemment par le personnel ministériel. Il a été cité par le Bureau du premier ministre en réponse à diverses demandes et plaintes.

202   Le Ministère a aussi rejeté toute suggestion de reconsidérer l’utilisation de la Loi sur la protection des ouvrages publics. Le 29 juin, un document de communication interne du Ministère a souligné ceci :

Si des pressions sont exercées en vue d’un réexamen de la loi… nous n’avons aucun plan actuellement pour réviser la Loi… un règlement n’est PAS un amendement législatif, et pas un processus public.


203   Alors que les événements reliés au sommet du G20 continuaient de révolter le public, alimentant les nouvelles et renforçant les manifestations, les partenaires du Groupe intégré de la sécurité se demandaient eux aussi comment réagir. Apparemment, les membres du comité directeur du GIS ont envisagé de tenir une conférence de presse conjointe pour répondre aux questions sur le sommet, mais la rupture des communications à propos du Règlement 233/10 a été l’un des nombreux problèmes qui ont empêché les partenaires du GIS de faire publiquement front commun. Le 1er juillet, un courriel interne de l’OPP a résumé une discussion entre les dirigeants de l’OPP et de la GRC sur cette proposition de conférence de presse, durant laquelle ils ont décidé que ce ne serait pas une bonne idée d’y participer. L’auteur du courriel a donné plusieurs raisons :

Le SPT a fait maintes erreurs publiquement au cours des 72 dernières heures…

Il a été pris en train de déformer les faits sur les armes qu’il a présentées en conférence de presse. Aucun lien avec le G20.

Il a déformé les faits quant aux origines du recours à la LPOP. A blâmé le GIS alors que c’était clairement une requête du SPT.

Le représentant du SPT au comité directeur était absent durant des périodes critiques.

En cas de conférence de presse conjointe, les questions seraient très directes et nous serions alors forcés soit de contredire le SPT devant les médias, soit de garder le silence – ce qui reviendrait à appuyer tacitement ses déclarations.

Le public a en grande partie appuyé les opérations de sécurité de la police pour le G20. Là où l’appui fait défaut, c’est pour la conduite du SPT et pour l’incohérence des réponses qu’il continue de donner…


204   Au départ, le Ministère est resté sur sa position d’autoprotection mais, face aux pressions publiques continues, il a modifié son approche. Le 2 juillet, le premier ministre a exprimé ses regrets quant à la confusion soulevée par le Règlement et il a reconnu que le gouvernement aurait pu faire mieux pour le clarifier, après la présentation trompeuse qui en avait été faite[37].

205   Le 7 juillet, le ministre a lui aussi reconnu que le Ministère aurait pu intervenir avec plus de force quand le chef de police avait évoqué par erreur la « règle des cinq mètres ». Il a déclaré en rétrospective :

Il ne fait absolument aucun doute qu’il y a eu un manque de clarté et que, si nous avions fait une déclaration tout de suite, nous aurions probablement pu gérer un peu mieux la situation[38].


206   Dans sa réponse du 29 juillet à l’Association canadienne des libertés civiles, qui lui avait envoyé une lettre le 25 juin à propos du Règlement 233/10, le ministre a souligné que le Règlement avait pour objectif d’assurer une meilleure assise légale au pouvoir conféré aux policiers de prendre certaines mesures dans la zone de sécurité. Il a toutefois reconnu que, « en rétrospective, il aurait pu être mieux communiqué ».

207   Le 2 septembre, le chef de police de Toronto a lui aussi reconnu publiquement qu’il aurait dû intervenir plus vite pour mettre fin aux arrestations massives le 26 juin[39].

208   Alors que les groupes de défense des droits civils continuaient de s’indigner de la conduite des responsables du maintien de l’ordre lors du sommet, entre autres de l’utilisation du Règlement 233/10, que de nombreuses plaintes étaient déposées et que des poursuites étaient intentées, et tandis que des avocats et des universitaires se penchaient sur la question de la constitutionnalité de la Loi sur la protection des ouvrages publics, le Ministère a réexaminé la pertinence de continuer de défendre une ancienne loi de mesures de guerre. Le 22 septembre, le Ministère a battu en retraite et a cessé d’apporter un appui inflexible à la Loi. Ce jour-là, le gouvernement a annoncé que la Loi sur la protection des ouvrages publics ferait l’objet d’un réexamen, cette fois en consultation avec des avocats, la police, les groupes de défense des libertés civiles et d’autres parties prenantes. Le nouveau ministre de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a fait remarquer ceci[40] :

Nous devons nous assurer que nos lois tiennent compte des préoccupations en matière de sécurité et des valeurs de notre société moderne.


209   Bien que certains dirigeants ministériels aient reconnu en rétrospective qu’ils auraient dû faire une déclaration quand la situation « a commencé à déraper », il est troublant de constater qu’ils ont paru déroutés par le « tapage » causé par le Règlement 233/10. Comme l’a fait remarquer l’ancien sous-ministre le 28 juin :

Je crois que c’est devenu un problème contre toute attente. Qui aurait pu croire qu’un texte de loi vieux de 70 [ans] allait susciter une telle agitation?


210   Les courriels ministériels qui retracent les événements des jours qui ont suivi le sommet indiquent qu’au départ, les responsables étaient bien déterminés à esquiver la responsabilité du fiasco du Règlement 233/10. En ce qui concerne les critiques adressées au Ministère, ces courriels attribuent en grande partie le blâme à la gaffe de relations publiques commise par le chef de police ainsi qu’aux « médias inattentifs » qui n’ont pas repéré le Règlement sur les Lois-en-ligne et qui ont continué de faire faussement référence à la « règle des cinq mètres », même une fois ce point clarifié par le Ministère. Les responsables ministériels ne semblaient pas prêts à accepter le moindre blâme pour la promotion de l’utilisation de la Loi durant le sommet, pas plus que pour la stratégie imprudente de consultation et de communication adoptée quant au Règlement 233/10.

211   Le récent revirement du Ministère sur le réexamen de la Loi semble indiquer que, réflexion faite, le Ministère a compris qu’il n’avait peut-être pas été très judicieux d’aider le Service de police de Toronto en recourant à la loi martiale.

 

Pouvoir discutable

212   Il ne faut pas s’étonner que l’Ontario soit la seule province à avoir conservé une loi sur les mesures de guerre. Les pouvoirs conférés aux agents de la paix par la Loi sur la protection des ouvrages publics sont d’une envergure surprenante et méritent d’être examinés ici. En vertu de cette Loi, quand un bâtiment ou un lieu est qualifié d’ouvrage public, la police peut exiger que quiconque y pénétrant ou tentant d’y pénétrer établisse son identité et indique la raison pour laquelle il veut y pénétrer « le tout par écrit ou non ». La police peut aussi fouiller, sans mandat, cette personne et son véhicule, et lui interdire d’entrer, en usant de la force nécessaire à cet effet. Chose plus importante encore, quiconque omet ou refuse de se conformer à l’exigence ou à la demande d’information d’un agent de la paix, et quiconque refuse de se laisser fouiller, commet une infraction et se trouve passible non seulement d’une amende de 500 $ mais aussi d’un emprisonnement d’au plus deux mois. À l’époque de la Charte, ces dispositions semblent regrettablement déplacées. Généralement, les Ontariens peuvent pénétrer dans les lieux et les bâtiments publics, et se déplacer dans les rues, en toute liberté.

213   On comprend donc qu’après les événements de juin 2010, de nombreuses personnes aient soulevé de sérieuses questions, tout à fait valides, sur la constitutionnalité de la Loi sur la protection des ouvrages publics relativement aux ouvrages publics autres que les bâtiments importants, tout particulièrement dans le contexte de l’application de cette Loi lors du sommet du G20. En fait, quand elle a décidé de ne pas y recourir pour le sommet du G8, l’OPP a estimé que cette Loi « ne résisterait probablement pas à une contestation constitutionnelle ». De plus, au moins un des avocats fédéraux qui conseillaient le Groupe intégré de la sécurité a paru fortement enclin à laisser au Ministère le soin de justifier sur le plan constitutionnel le recours à cette Loi à l’occasion du sommet du G20.

214   Je ne peux pas ignorer ces préoccupations. La légalité du Règlement soulève de graves questions, qui sont d’une importance fondamentale pour déterminer s’il était raisonnable ou non de le promulguer. Je sais parfaitement que je ne suis pas juge et qu’il n’est pas très courant que l’Ombudsman de l’Ontario avance des conclusions sur les exigences de la loi, mais en vertu de la Loi sur l’ombudsman, je dois non seulement déterminer si la conduite soumise à enquête était « déraisonnable, injuste ou abusive », mais je dois aussi établir si cette conduite paraît avoir été « contraire à la loi » ou si elle était « conforme à une disposition d’une loi qui est ou peut être déraisonnable, injuste, abusive ou discriminatoire ». Pour m’acquitter de mon mandat dans cette enquête, je dois donc donner mon opinion au Ministère et au gouvernement de l’Ontario non seulement sur le caractère raisonnable des mesures prises, mais aussi sur leur apparente légalité.

215   Tout naturellement, je commencerai par les questions constitutionnelles. Ensuite, j’explorerai la question fondamentale qui est de déterminer si le pouvoir statutaire de promulguer ce Règlement a jamais existé.

 

Non à la clôture de sécurité

216   La Loi sur la protection des ouvrages publics a été contestée sans succès en vertu de la Charte dans l’affaire R. v. Campanella[41]. Mme Campanella a remis en question la validité constitutionnelle des pouvoirs de fouille et de saisie énoncés au paragraphe 3 b), plus précisément dans le contexte d’une fouille effectuée au Palais de justice John Sopinka à Hamilton. Les personnes qui se rendent là doivent subir un contrôle de sécurité dont l’objet est la recherche d’armes. Elles doivent passer par des détecteurs de métal et laisser les gardiens inspecter leurs sacs. Lors de la fouille du sac de Mme Campanella, les gardiens ont trouvé de la marie-jeanne. Au cours de son procès pour possession de drogue, elle a soutenu que la fouille était inconstitutionnelle et que l’accusation de possession de marie-jeanne devait donc être retirée.

217   En vertu de la Charte, toute fouille est inconstitutionnelle sauf si elle est autorisée par la loi. La fouille de Mme Campanella cadrait avec cette exigence car le Palais de justice John Sopinka est un édifice provincial qui relève de la définition d’« ouvrage public » donnée par la Loi sur la protection des ouvrages publics. Par conséquent, les « gardiens » et autres agents de la paix sont autorisés de par la Loi, et plus précisément de par le paragraphe 3 b) de la Loi, à fouiller sans mandat les personnes entrant dans cet édifice. Mais ce verdict n’a pas complètement réglé le problème. En effet, même si une fouille est légale, elle est inconstitutionnelle si la loi qui l’autorise est déraisonnable. C’est sur ce point que s’est concentrée Mme Campanella. Elle a argué qu’il était déraisonnable pour la loi d’autoriser des fouilles aléatoires, sans mandat, à la porte d’un palais de justice. La Cour d’appel de l’Ontario l’a désavouée. Elle a cité l’historique de violence et de menaces envers les membres du système judiciaire, entre autres dans les cours de justice, et elle a maintenu qu’il était raisonnable de contrer pareilles menaces en permettant les fouilles aléatoires, sans mandat, des personnes qui veulent entrer dans un palais de justice, et ceci dans un objectif de recherche d’armes.

218   Aussi importante que puisse être la décision dans R. v. Campanella, cette affaire ne détermine pas la validité constitutionnelle de toutes les dispositions de la Loi sur la protection des ouvrages publics, à toutes fins. Cette affaire portait uniquement sur le point suivant : le paragraphe 3 b) de la Loi contrevenait-il au droit constitutionnel de ne pas être soumis à des fouilles ou à des saisies déraisonnables? La décision de la Cour a souligné que la validité constitutionnelle des fouilles variait en fonction du contexte. L’affaire Campanella portait simplement sur les fouilles effectuées dans les palais de justice pour recherche d’armes dans les cas de danger probant pour la sécurité publique, quand le processus de contrôle est clairement apparent, quand les personnes qui décident de quitter les lieux plutôt que de se laisser contrôler peuvent librement le faire et quand toutes les personnes n’ayant pas d’autorisation de sécurité sont également tenues de se laisser fouiller. Chose plus importante encore, cette affaire n’a rien à voir avec les autres types de contestation constitutionnelle, par exemple sur le point de la liberté d’expression.

219   Ce qui est en jeu ici, c’est la validité constitutionnelle du Règlement 233/10. Quelle que soit la validité constitutionnelle du texte de loi en vertu duquel le Règlement 233/10 a été adopté, si son objet ou son effet visait à contrevenir à l’un des droits ou à l’une des libertés garantis par la Charte, il était inconstitutionnel – à moins que le gouvernement de l’Ontario ne puisse le défendre en tant que restriction justifiable des droits et libertés pertinents de la Charte.

220   C’est le paragraphe 2 b) de la Charte, qui porte sur la « liberté d’expression », que l’adoption du Règlement 233/10 a mis sur la sellette. Le concept de la « liberté d’expression » est vaste en vertu de la Charte. Toute tentative de communiquer des renseignements autrement que par la violence est protégée[42]. Cette ample liberté constitutionnelle a été enchâssée dans la Charte pour promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance, en ouvrant les moyens de communication sur les questions de politique gouvernementale, y compris par la protestation. Le droit de manifester est si fondamental que la Cour suprême du Canada a reconnu non seulement le droit à l’activité expressive, « mais aussi le droit de l’exercer dans certains lieux publics »[43], y compris dans les rues de nos communautés[44]. Le Règlement 233/10, adopté pour réglementer les manifestations, touchait donc à la liberté d’expression garantie au paragraphe 2 b) de la Charte. Enfreignait-il cette liberté ou la niait-il, soit dans son objet, soit dans son effet?

221   Rien ne prête à croire que le Ministère avait pour objet d’enfreindre la liberté d’expression, ou de la nier, quand il a recommandé l’adoption du Règlement 233/10. L’objectif avoué du Ministère en appuyant le Règlement était d’aider le Service de police de Toronto à obtenir clairement et une fois pour toutes le pouvoir de maintenir le périmètre de sécurité. Plus fondamentalement encore, le Règlement avait pour objectif louable de protéger les participants de tout mal causé par des terroristes ou par des manifestants. Comme indiqué, la violence ou les menaces de violence provenant de quiconque, terroristes ou manifestants, ne sont pas une forme protégée de liberté d’expression[45].

222   Néanmoins, le Règlement 233/10 a eu pour effet de limiter l’exercice du droit constitutionnel à la liberté d’expression, alors que le Service de police de Toronto avait affirmé qu’il n’avait nullement l’intention de limiter les manifestations pacifiques près du périmètre de sécurité quand il a demandé au Ministère de l’aider à obtenir le Règlement 233/10.

223   Le but évident de la protection de la liberté d’expression est de permettre la communication des messages. En créant un périmètre de sécurité qui séparait les manifestants des participants, la possibilité qu’avaient les manifestants de communiquer directement avec les participants qu’ils voulaient influencer se trouvait restreinte, voire supprimée. La liberté constitutionnelle d’expression protège aussi le droit de communiquer dans des lieux publics où la liberté d’expression paraît tout naturellement protégée par la constitution, par exemple dans les rues publiques. Le Règlement 233/10 refusait aux manifestants l’accès à des rues publiques où le débat démocratique aurait été habituellement normal et permis. D’après le test de la Cour suprême du Canada, le Règlement 233/10 enfreignait donc la liberté d’expression et était inconstitutionnel, sauf si le gouvernement de l’Ontario pouvait prouver qu’il constituait une restriction justifiable de cette liberté.

224   Pour être justifiable, le Règlement 233/10 aurait dû satisfaire au test complexe créé par la Cour suprême du Canada dans R. c. Oakes[46]. C’est-à-dire qu’il aurait dû 1) avoir été prescrit par la loi, 2) avoir été promulgué pour une raison pressante et substantielle, et 3) satisfaire à une épreuve de proportionnalité en trois parties.

225   L’exigence 1), c’est-à-dire l’obligation d’être prescrit par la loi, est de toute évidence satisfaite. Un règlement est, par définition, une « loi ». Les limites imposées par le Règlement 233/10 à la liberté d’expression étaient donc « prescrites par la loi ».

226   Il est aussi certain que l’exigence 2) est satisfaite. Les intérêts visés par le Règlement 233/10, notamment la sécurité des participants au sommet du G20, étaient pressants et substantiels. L’Histoire a montré que des sommets similaires un peu partout dans le monde et au Canada ont suscité la violence et des menaces de violence. Il était donc impératif de protéger les participants.

227   La question clé est de savoir si le périmètre de sécurité établi en vertu du Règlement 233/10 et les pouvoirs policiers conférés par ce Règlement peuvent satisfaire à l’épreuve de la proportionnalité en trois parties. La première exigence est de toute évidence satisfaite. Pour répondre à cette exigence, la décision d’ériger un périmètre de sécurité permettant de contrôler l’accès doit être un moyen rationnel d’assurer la sécurité des participants. Comme l’a prouvé la décision dans l’affaire R. c. Knowlton[47], portant sur les pouvoirs policiers conférés par la common law pour établir un périmètre de sécurité – et comme le montre le simple bon sens – contrôler l’accès physique aux personnes à risque est un moyen important d’assurer leur protection. Accorder de vastes pouvoirs de fouille, de détention et d’arrestation aux policiers peut être controversé, mais nullement inutile. Un lien rationnel existe entre l’objectif et la stratégie.

228   La seconde exigence de proportionnalité stipule que la loi en question doit « constituer une atteinte minimale ». L’idée est la suivante : quand il s’avère nécessaire de limiter un droit constitutionnel, ce droit ne devrait être limité que dans la mesure requise pour parvenir à l’objectif visé, qui doit être pressant et substantiel. À mon avis, les questions pertinentes sont celles-ci : la clôture était-elle plus intrusive qu’il ne fallait, et était-il nécessaire de donner à la police les vastes pouvoirs conférés par la Loi sur la protection des ouvrages publics pour assurer la sécurité des participants?

229   En réponse à la première question, la clôture était transparente et permettait aux manifestants et aux participants, qui se trouvaient à proximité physique les uns des autres, de se voir. La conception de la clôture peut donc difficilement être considérée comme un élément de disproportion. Par ailleurs, il est possible qu’un tribunal s’en remette au jugement des responsables de la sécurité pour déterminer si la zone de sécurité était plus grande que nécessaire. La conclusion serait probablement que le périmètre autorisé par le Règlement 233/10 constituait une atteinte minimale.

230   La seconde question est problématique. Était-il vraiment nécessaire de conférer à la police les pouvoirs créés en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics, et applicables dans le contexte de manifestations, pour protéger les participants au G20? J’ai de sérieuses réserves sur ce point. La sécurité aurait pu être assurée en permettant aux agents de la paix de refuser l’accès à la zone aux gens pour des raisons de sécurité et de fouiller à la recherche d’armes les gens qui voulaient y entrer. Mais le paragraphe 3 c) permettait aux agents de la paix « d’interdire à toute personne de pénétrer dans un ouvrage public » et n’imposait pas de limites expresses aux raisons de refuser l’accès. Ceci diffère de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, qui permet à la GRC d’interdire l’accès « dans l’exercice de ses responsabilités en vertu du paragraphe (1) », ce qui signifie « d’assurer la sécurité pour le déroulement sans heurt de toute conférence intergouvernementale ». Le pouvoir d’interdire l’accès conféré par la Loi sur la protection des ouvrages publics semble donc aller plus loin que requis, car rien ne limite le pouvoir discrétionnaire des agents de la paix. À moins qu’un tribunal ne soit prêt à maintenir que la Loi stipule implicitement que le pouvoir d’exclusion doit être exercé uniquement pour des raisons de sécurité, l’autorité mentionnée à la clause 3 c) serait sans doute constitutionnellement excessive et ne pourrait pas étayer l’idée de restriction justifiable de la liberté d’expression.

231   Mais le défi majeur de toute tentative de justification du Règlement 233/10 dans le contexte de la liberté d’expression résulte de l’effet conjoint des articles 3 et 5 de la Loi sur la protection des ouvrages publics, dont le Règlement 233/10 déclenche l’application. Ces dispositions permettent aux agents de la paix d’arrêter les manifestants qui refusent ou omettent de répondre à leurs questions alors qu’ils tentent d’entrer dans un « ouvrage public » ou dans ses « abords ». Bien sûr, pour protéger les participants, il devrait suffire d’autoriser les agents de la paix à interdire l’entrée de la zone à de telles personnes, sans les arrêter. À mon avis, l’autorisation d’arrêter les personnes qui ne donnent pas de bonnes raisons de vouloir entrer dans la zone de sécurité constitue une entrave disproportionnée aux libertés des manifestants, étant donné qu’il suffirait de leur interdire l’accès de ladite zone. Les manifestants pourraient alors protester en dehors de la zone de sécurité, sans être placés en détention par la police. C’est pourquoi j’ai de vrais doutes que cette exigence essentielle du test Oakes puisse être satisfaite.

232   La troisième question de proportionnalité vise à déterminer si les avantages globaux de la loi l’emportent sur ses répercussions négatives. La question revient à se demander si les gains faits sur le plan de la sécurité grâce au Règlement 233/10 étaient suffisamment précieux pour avoir plus de poids que les désavantages de limiter l’accès aux manifestants comme l’a fait le Règlement. Il n’existe aucune mesure précise pour prendre cette décision. Mais il faut souligner que le Ministère jugeait ce Règlement inutile, car le Service de police de Toronto aurait continué de mettre en place le périmètre de sécurité en vertu d’un autre texte de loi. On peut donc difficilement conclure que le Règlement 233/10 était de la valeur requise pour répondre à cette exigence constitutionnelle.

233   En fin de compte, j’ai de vraies réserves sur la compatibilité constitutionnelle du Règlement 233/10 et de la liberté d’expression. Le problème ne provient pas du fait que le Règlement 233/10 appuyait la mise en place d’un périmètre de sécurité. Si son rôle s’en était tenu à cela, tout aurait bien été. Le problème résulte des pouvoirs policiers excessifs qui ont découlé de l’adoption du Règlement. Si le Règlement 233/10 avait été contesté en vertu de la Charte, il est loin d’être évident que sa validité constitutionnelle aurait pu être établie.

 

Faire rentrer les carrés dans les ronds

234   La Loi sur la protection des ouvrages publics indique clairement que peut être désigné comme ouvrage public tout « bâtiment, lieu ou ouvrage » (article 1). Bien que la Loi ne stipule pas que cette désignation devrait se faire par une réglementation, elle confère le pouvoir de « réglementer toute autre matière nécessaire ou souhaitable pour l’application efficace de la présente Loi » (paragraphe 6 c))[48]. Pour être légalement autorisé et valide, le Règlement 233/10 devait être promulgué de sorte à appuyer « l’application efficace de la [Loi sur la protection des ouvrages publics] ». Tout porte à croire qu’il n’en a rien été. L’application efficace de la Loi sur la protection des ouvrages publics vise tout simplement à protéger l’infrastructure publique. Or le Règlement 233/10 a été adopté pour protéger non pas des lieux mais des personnes, à l’intérieur ou à l’extérieur d’ouvrages publics. Sans même considérer les problèmes soulevés quant à la Charte, le Règlement 233/10 était donc probablement illégal. Rien dans la Loi sur la protection des ouvrages publics n’autorisait à l’adopter.

235   L’écart d’objectifs semble clair. Le contexte historique de la Loi sur la protection des ouvrages publics et les commentaires du lieutenant-gouverneur alors en fonction montrent clairement que « l’application efficace » de la Loi sur la protection des ouvrages publics avait pour objectif de protéger l’infrastructure gouvernementale contre les actes de sabotage. Ceci ressort également des termes employés par la Loi. Les « ouvrages publics » décrits par la Loi sont principalement des bâtiments ou des services publics exposés à des risques de destruction. De plus, la Loi autorise la désignation de gardiens chargés de faire respecter les objectifs de la Loi; le paragraphe 2 1) qui permet leur nomination dit explicitement que les gardiens doivent être nommés « en vue d’assurer la protection d’un ouvrage public ».

236   Il est tout aussi clair que le Règlement 233/10 n’a pas été adopté pour protéger l’infrastructure gouvernementale contre les actes de sabotage mais pour assurer la sécurité des dignitaires. Le fait est que trois zones distinctes ont été désignées comme « ouvrages publics ». La désignation avait uniquement pour but de compléter le périmètre entre les gens à l’extérieur de la zone de sécurité et les participants au sommet du G20. Ces trois « lieux » n’avaient rien de « public » et l’intention n’était nullement de les protéger. Ils n’étaient pas menacés de sabotage. Leur inclusion au Règlement 233/10 avait uniquement pour but de contrôler l’accès à la zone de sécurité. L’objectif était de protéger les gens à l’intérieur de cette zone. Certains des bâtiments à l’intérieur de la zone étaient des ouvrages publics, mais beaucoup ne l’étaient pas. Aucun des édifices gouvernementaux à l’intérieur du périmètre de sécurité n’était spécial. De plus, les édifices gouvernementaux à l’intérieur du périmètre n’étaient aucunement plus exposés à des actes de sabotage que les ouvrages publics à l’extérieur de la zone protégée. En fait, les actes de destruction débridée qui ont eu lieu le samedi 26 juin montrent que les ouvrages publics immédiatement à l’extérieur de cette zone étaient, eux, en danger. Très clairement, le Règlement 233/10 a été promulgué afin de donner légalement à la police le droit d’ériger un périmètre de sécurité pour le sommet du G20 dans le but de protéger les participants. Le contexte de l’adoption de ce Règlement le montre.

237   Même l’objectif avoué du Ministère pour promouvoir le recours à la Loi sur la protection des ouvrages publics, par le biais du Règlement 233/10, était de protéger les gens, et plus particulièrement les dignitaires en visite. La Loi sur la protection des ouvrages publics autorisait la promulgation de règlements pour protéger les bâtiments et les lieux; le Règlement 233/10 a été promulgué dans le but non autorisé de protéger des gens. On peut donc raisonnablement conclure que ce Règlement n’était pas dûment autorisé par la loi.

238   J’aimerais me faire comprendre bien clairement. Je ne dis pas que la protection des ouvrages publics en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics ne peut pas être visée dans le but accessoire ou connexe de protéger les gens qui se trouvent à l’intérieur. Mais dans ce cas, le but n’était pas d’assurer la sécurité de lieux ou d’infrastructures pour protéger accessoirement les gens qui s’y trouvaient. Le but était de protéger les gens, la protection des ouvrages publics étant tout simplement accessoire. La désignation des lieux en tant qu’ouvrages publics protégés n’était pas une fin en soi; elle visait un autre objectif.

239   Je sais que, dans R. v. Campanella, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu le rôle joué par la Loi sur la protection des ouvrages publics dans la sécurité des palais de justice pour prévenir les actes de violence contre les occupants. Mais cette affaire ne portait pas sur la désignation d’un ouvrage public par un règlement et ne soulevait donc pas la question du renforcement de « l’application efficace » de la Loi par un règlement. Chose plus importante encore, la question de l’application efficace de la loi ne prêtait pas à litige; son application était présumée sans analyse, la seule contestation possible étant le caractère raisonnable des fouilles imposées.

240   Par conséquent, je crois que, dans ce cas, une loi conçue dans un but a été utilisée dans un tout autre but et que des pouvoirs conférés dans un but ont été détournés vers un but non autorisé. Le pouvoir de réglementation créé par la Loi a donc été outrepassé. Par conséquent, le Règlement 233/10 était probablement ultra vires et la désignation des ouvertures dans le périmètre de sécurité et des autres ouvrages au sein du périmètre de sécurité comme « ouvrages publics » était illégale.

 

Établir des limites raisonnables

241   Comme je considère que le Règlement était probablement inconstitutionnel, j’en conclus que le Ministère a agi déraisonnablement quand il a accédé à la requête du chef de Service de police de Toronto lui demandant de mettre de l’avant une proposition de désignation en vertu de la Loi. J’aimerais préciser clairement que je n’ai aucune raison de conclure qu’il l’a fait en toute connaissance de cause de ces problèmes juridiques. Le fait que le Ministère invoque légitimement le secret professionnel des avocats m’empêche d’explorer les conseils juridiques qu’il a reçus quant à la légalité du Règlement 233/10 et j’ignore donc ce qui s’est passé réellement. Néanmoins, d’après mon analyse du Règlement, je suis d’avis que la décision ministérielle de recommander l’adoption du Règlement 233/10 était déraisonnable.

242   Il aurait dû paraître évident aux dirigeants ministériels que, même sans considérer les problèmes flagrants de la constitutionnalité du Règlement 233/10 et de sa légitimité en vertu de la Loi, le Ministère dépassait la portée pertinente de la Loi sur la protection des ouvrages publics en l’utilisant ainsi. Ce texte de loi avait été manifestement adopté pour protéger les ouvrages publics, et non pas les dignitaires en visite. Il est malsain d’utiliser une loi adoptée dans un but pour parvenir à un tout autre but. Le faire nuit à l’intégrité des pouvoirs octroyés par la loi et peut conduire le gouvernement à s’approprier des pouvoirs qui ne lui ont jamais été légalement conférés. À mon avis, la décision de recourir à cette loi exceptionnelle sur les mesures de guerre était opportuniste et inappropriée. En l’absence d’instrument légal pertinent, dans un domaine mettant en péril des droits ou libertés garantis par la Charte, le gouvernement aurait bien mieux fait d’adopter ouvertement un texte de loi ciblé, en ouvrant le débat public sur la question des pouvoirs policiers qui devraient en découler, s’il jugeait nécessaire d’appuyer légalement le plan de sécurité.

243   Le Comité permanent des règlements et des projets de loi d’intérêt privé est chargé d’examiner tous les règlements promulgués, en prêtant tout particulièrement attention à leur portée et au moyen d’exercer le pouvoir législatif[49]. Les directives d’examen précisent que les règlements devraient strictement se conformer à la loi qui confère le pouvoir, surtout en ce qui concerne les libertés personnelles, dans un langage précis et non ambigu, sans imposer d’amende, de détention ou d’autres sanctions[50]. Quand il a recommandé le Règlement 233/10, le Ministère aurait dû comprendre que ce Règlement était à la limite permise, voire au-delà de cette limite, quant à l’exercice de l’autorisation législative déléguée.

244   Point plus important encore, en recommandant l’adoption du Règlement 233/10, le Ministère a appuyé l’utilisation de pouvoirs démesurés par les agents de la paix, pouvoirs dont ils n’avaient aucunement besoin pour assurer la sécurité des participants au sommet du G20. Le Ministère ne s’est pas montré sage quand il a décidé d’encourager l’octroi des pouvoirs exceptionnels de la Loi sur la protection des ouvrages publics aux policiers, dans le climat naturellement incendiaire d’un sommet international, tout simplement en raison d’incertitudes quant à l’autorisation légale d’établir un périmètre de sécurité.

245   Bien que ceci n’atténue en rien le problème, les responsables ministériels n’ont peut-être pas tout à fait compris le vaste pouvoir conféré à la police par cette désignation. Ils nous ont avisés que la décision de désigner la zone de sécurité comme « ouvrage public » était davantage une « mesure de soutien » étant donné que la police avait déjà les autorités et des pouvoirs suffisants, et similaires, en vertu de la Loi et de la common law. Dans ce contexte, la désignation de trois petites zones comme ouvrages publics était perçue comme une simple formalité et les répercussions sur les intéressés étaient jugées « modérées ». En fait, la police ne disposait pas de pouvoirs similaires en vertu de la common law. En vertu de la common law, elle pouvait établir un périmètre de sécurité incluant les trois petites zones auxquelles le Règlement 233/10 fait référence et contrôler et fouiller les gens qui voulaient y entrer, mais elle n’avait pas le droit d’arrêter les gens qui omettaient ou refusaient de répondre à ses questions, ou qui préféraient quitter les lieux plutôt que de se laisser fouiller. Le Règlement 233/10 a complètement changé la dynamique.

246   Il est important aussi de comprendre que certaines des dispositions de la Loi sur la protection des ouvrages publics mises en application par le Règlement 233/10 étaient d’une validité constitutionnelle contestable. Cette Loi avait été adoptée dans un climat de panique, en situation de guerre. Dans les circonstances actuelles, il aurait fallu soigneusement examiner son fondement constitutionnel avant de l’invoquer. Si on l’avait fait, on aurait sans doute constaté que cette Loi posait de vrais problèmes relativement à la Charte.

247   Plus précisément, l’article 4 de la Loi sur la protection des ouvrages publics stipule qu’en cas de poursuite :

… la déclaration relative aux limites d’un ouvrage public est une preuve concluante, si cette déclaration est faite sous serment par un agent ou employé du gouvernement, du conseil, de la commission, de la municipalité ou autre personne morale, ou de toute autre personne qui est le propriétaire, l’exploitant ou le responsable de cet ouvrage public.


248   En raison de cette disposition, personne ne peut contredire le témoignage d’un agent ou d’un employé du gouvernement à propos des limites d’un ouvrage public, même si ce témoignage est factuellement et manifestement erroné. Une disposition comme celle-ci, appliquée lors de poursuites pour une quelconque infraction, va à l’encontre de la présomption d’innocence garantie par le paragraphe 11 d) de la Charte. Des lois qui « présument » que des faits sont vrais ont été entérinées dans le cas de contestations en vertu de la Charte, mais uniquement dans la mesure où ces lois permettaient de réfuter les faits présumés, en cas d’inexactitude. Cette disposition va irréfutablement plus loin qu’elle ne le devrait et ne survivrait probablement pas à un examen à la lumière de la Charte.

249   En outre, certaines raisons portent à considérer que les dispositions de la Loi sur la protection des ouvrages publics permettent des arrestations arbitraires, qui sont contraires à la Charte. L’article 9 de la Charte stipule qu’il est inconstitutionnel de priver les individus de leur liberté contrairement aux principes de justice fondamentale[51], et l’un des principes de la justice fondamentale est que la liberté des individus ne peut pas être entravée sans raison valide[52]. L’effet conjoint des paragraphes 5 (1) et 3 a) de la Loi sur la protection des ouvrages publics est d’autoriser les arrestations et les détentions – donc la privation de liberté – apparemment sans aucune raison valide. Il faut bien comprendre que ces dispositions ne confèrent pas uniquement aux agents de la paix le pouvoir raisonnable d’interdire l’accès des ouvrages publics aux individus qui ne donnent pas de raisons justifiables de vouloir y entrer. Elles autorisent aussi l’arrestation des individus qui sont repoussés ou qui préfèrent quitter les lieux plutôt que de s’identifier ou d’expliquer pourquoi ils veulent entrer dans ces lieux. Une fois que l’accès a été refusé, de telles mesures sont inutiles.

250   Il est justifiable, dans le but de maintenir la sécurité, d’arrêter les personnes qui tentent d’entrer dans un lieu dont l’accès leur a été interdit. Mais arrêter les personnes qui quittent un lieu – après avoir refusé de décliner leur identité ou d’expliquer pourquoi elles veulent y entrer – ne répond à aucun objectif valable de sécurité. D’après ce que nous avons pu déterminer, apparemment au moins deux personnes – M. Vasey et M. Veitch – ont été arrêtées en vertu de la Loi tout simplement pour ne pas s’être identifiées. Pire encore, toutes deux affirment qu’elles ne s’approchaient pas du périmètre de sécurité et ne tentaient aucunement de le franchir lors de leur arrestation.

251   Fait notoire, le Règlement 233/10 a été mal interprété par la police. Le chef de la Police de Toronto a affirmé que ce Règlement permettait l’arrestation de quiconque se trouvait dans un rayon de cinq mètres du périmètre de sécurité, alors que la désignation des ouvrages publics était censée s’appliquer uniquement à l’intérieur de la zone de sécurité. De plus, le Règlement a semé une confusion considérable parmi les dirigeants ministériels. Il ne faut pas s’en étonner. En effet, ce Règlement est extrêmement technique, difficile à saisir sans l’aide d’une carte. Même les responsables ministériels ont reconnu qu’il n’était pas clair. Mais une chose est claire : les pouvoirs conférés par la Loi, par opposition au Règlement, ont été appliqués par la police pour faire des contrôles d’identité et des fouilles bien au-delà de la zone de sécurité. Bien que le Ministère n’ait pas eu cette intention en faisant la promotion de ce Règlement, il a donné aux policiers une nouvelle arme pour contrôler les protestations en appuyant l’application de la Loi sur la protection des ouvrages publics et en attirant l’attention sur son existence. Une fois tiré de son sommeil par le Ministère, le volcan endormi s’est avéré difficile à contrôler.

252   On ne peut pas reprocher au Ministère le manque de formation donnée aux policiers. La police est responsable de s’informer des lois qu’elle applique. Mais le Ministère avait reconnu l’importance d’une telle formation, avant même l’adoption du Règlement 233/10. Je crois donc qu’il avait une certaine responsabilité de s’assurer que les limites de la zone de sécurité prévues par le Règlement seraient claires pour ceux qui allaient l’appliquer. Ceci est d’autant plus important en raison de l’envergure des opérations menées par le Service de police de Toronto, qui était responsable non seulement de ses propres policiers mais aussi de milliers de policiers venus d’un peu partout au Canada pour contribuer au maintien de la paix et de l’ordre lors du sommet du G20. Assurer la sécurité d’un sommet international pose un défi monumental et le rôle du Service de police de Toronto était fort important étant donné que ce service allait avoir la part du lion dans la surveillance des manifestations au-delà du périmètre extérieur de sécurité. De telles situations sont tendues, parfois explosives, et le potentiel de violence est bien réel. Les pouvoirs de la Loi sur la protection des ouvrages publics sont vertigineux, tout comme l’est son potentiel d’atteinte aux libertés civiles. Dans ces conditions, laisser les policiers recourir au Règlement 233/10 sans formation adéquate quant à son envergure ou à son intention ne pouvait que mener à des abus.

253   Nous avons découvert que les membres de la Police régionale de York affectés à la sécurité du sommet du G20 n’avaient appris l’existence du Règlement 233/10 qu’une fois celui-ci en vigueur, alors que certains d’entre eux étaient responsables de la sécurité du périmètre. La plupart des policiers de York ont entendu parler du Règlement dans les médias. La Police régionale de York nous a informés qu’elle avait envoyé environ 450 policiers à Toronto pour aider le Service de police de Toronto durant le sommet. Diverses fonctions ont été confiées aux policiers de York. Trois équipes de 41 à 49 policiers, y compris les superviseurs, ont été affectées directement à la clôture de sécurité, tandis qu’une quatrième équipe était nommée à la sécurité de la zone appelée « the PATH » (réseau de passages souterrains au centre-ville de Toronto), en deçà du périmètre de sécurité. Voici ce que la Police régionale de York nous a déclaré à propos de la formation au Règlement 233/10 :

À aucun moment, il [l’inspecteur de la Police régionale de York, qui assurait la liaison avec le Service de police de Toronto durant le sommet] n’a reçu le moindre document ou la moindre information à propos de la « loi sur la clôture de sécurité » à communiquer aux policiers participants.


254   Apparemment, le Service de police de Toronto n’a pas renseigné non plus les policiers de York au sujet du Règlement 233/10 quand ceux-ci se sont présentés à l’appel du matin le 21 juin et le 22 juin 2010. Ce n’est que le 23 juin 2010 que certains des superviseurs de la Police régionale de York (mais pas tous) ont été informés du Règlement et ont commencé à former des policiers. Certains policiers ont reçu des renseignements sur le Règlement, sur la Loi, ainsi qu’un document intitulé « Toronto Police Service 2010 G20 Summit Interdiction Zone Access Policy and Procedure » à appliquer « dans la rue ». Apparemment, d’autres policiers de York n’ont jamais reçu le moindre renseignement au sujet du Règlement, tout simplement parce qu’ils ne travaillaient pas lorsque ces renseignements ont été communiqués ou parce que les renseignements n’ont jamais été transmis à leur équipe. La Police régionale de York nous a fait cette déclaration :

Alors que le sommet se déroulait, la plupart des policiers de York ont appris l’existence de la loi sur la clôture de sécurité par la presse. Certains n’en ont pris connaissance que lorsqu’ils ont vu la conférence de presse [du chef de la Police de Toronto] le vendredi 25 juin. On ignore si tous les policiers de York ont reçu les renseignements sur le périmètre de sécurité, et si oui, quand.


255   Il faut toutefois reconnaître que, quand l’erreur d’interprétation du Règlement par la police a été connue, les dirigeants ministériels ont vite cherché à s’assurer qu’elle serait rectifiée. Mais c’était trop peu, trop tard. Bien que mon mandat ne m’autorise pas à conclure que la police a utilisé une force excessive contre les manifestants, ou que la Loi a été mal appliquée, le manque de formation sur le Règlement 233/10 semble avoir contribué au chaos et à la confusion qui se sont emparés de la ville durant le sommet du G20.

256   Le Service de police de Toronto n’était pas le seul intervenant pour lequel le Ministère aurait dû s’assurer que toutes les répercussions du Règlement étaient connues. D’autres parties prenantes ont été directement touchées par ce Règlement, parfois de manière préjudiciable. Elles aussi auraient dû être dûment informées.

 

Le secret le mieux gardé

257   La Loi sur la protection des ouvrages publics est peut-être l’un des secrets les mieux gardés de l’histoire législative de l’Ontario, mais techniquement parlant, elle n’était aucunement secrète. Pendant des décennies, elle était restée presque inchangée dans les Lois de l’Ontario, véritable bombe à retardement qui n’attendait qu’à exploser sur le terrain des droits civils.

258   La Loi n’avait pas simplement échappé au radar du public : même de nombreux avocats n’en avaient pas connaissance. De plus, d’après les dossiers que nous avons étudiés durant notre enquête, et à en croire au moins l’un des dirigeants de l’OPP, beaucoup de policiers de la province n’en avaient jamais entendu parler. Dans ce contexte, la consultation inadéquate faite par le Ministère en vue de la promulgation du Règlement 233/10, de même que sa décision délibérée de le camoufler aussi longtemps que possible, sont surprenantes.

259   Durant notre enquête, le Ministère a fréquemment affirmé qu’il devait s’en remettre au Groupe intégré de la sécurité pour les questions de sécurité, y compris pour les renseignements à divulguer ou non au public. Mais le Ministère a omis de s’assurer que le GIS était officiellement consulté et avisé du Règlement 233/10. Apparemment, il a compté sur d’autres intervenants, en particulier sur le Service de police de Toronto, pour communiquer les renseignements aux intéressés. Ce faisant, il a exclu le commandement opérationnel du GIS du circuit des communications. Le chef du comité directeur du GIS n’avait pas la moindre idée que ce Règlement avait été proposé, et encore moins promulgué. Il ne l’a appris qu’en même temps que le grand public. La stratégie de consultation suivie par le Ministère n’a aucunement donné au GIS la possibilité d’évaluer s’il serait préférable de faire connaître publiquement le Règlement ou de le maintenir secret dans l’intérêt de la sécurité au sommet du G20. Comme l’équipe de communications du GIS n’était pas au courant du Règlement, les renseignements donnés sur son site Web, lors des entrevues avec les médias et des discussions avec les groupes de manifestants, ainsi qu’aux commerçants et aux résidents de la zone touchée, étaient forcément incomplets. Le GIS a été pris de court quand l’existence du Règlement 233/10 a été révélée au public. La situation s’est avérée non seulement embarrassante, mais elle a risqué de compromettre les intérêts de la sécurité du sommet. Très certainement, la façon dont le processus de consultation a été mené n’a rien fait pour atténuer les tensions entre les partenaires du GIS.

260   À un moment donné, le Ministère a envisagé de demander si la Ville de Toronto était au courant du Règlement proposé, mais une fois qu’il s’est clairement avéré que non, personne au Ministère n’a paru s’en inquiéter. Pourtant, ce Règlement allait imposer la loi martiale dans les rues de la ville. On peut donc présumer que la Ville aurait réellement voulu le savoir. De plus, elle avait pour responsabilité de faire savoir aux Torontois ce qu’ils étaient en droit d’attendre durant le sommet. De fait, le Ministère a tenté par la suite – regrettablement, à mon avis – de s’appuyer sur les campagnes d’information publique de la Ville quant aux mesures de sécurité lors du sommet pour insinuer que le public avait été avisé du Règlement. Les dirigeants municipaux ont souligné, très justement, qu’il n’en était rien.

261   Les hauts dirigeants municipaux nous ont fait savoir qu’ils n’ont appris l’existence du Règlement qu’avec le public. La publicité faite par la Ville n’avait pas pour but d’informer le public des répercussions du Règlement 233/10, et elle ne l’a aucunement fait. Certes, la Ville a mené une imposante campagne d’information publique à propos du sommet, dans plusieurs langues, mais seules quelques publicités en anglais donnaient des renseignements sur les fouilles aux abords du périmètre de sécurité – dont quelques-unes seulement sont parues avant l’application du Règlement 233/10. Les renseignements donnés dans ces publicités étaient incomplets. Le public n’a jamais été avisé que le refus de s’identifier ou de répondre aux questions de la police sur les raisons pour lesquelles une personne souhaitait entrer dans la zone de sécurité constituait une infraction passible d’arrestation. Le public n’a jamais été avisé non plus que la police s’arrogeait le pouvoir de fouiller les personnes qui s’approchaient de la zone de sécurité, même si celles-ci renonçaient à vouloir entrer ou se voyaient repoussées. L’adoption d’un règlement spécial pour renforcer les pouvoirs policiers, en contraignant les gens à obéir aux ordres et aux demandes des policiers sous peine de s’exposer à une arrestation, n’a jamais été divulguée. Et aucune mention n’a jamais été faite de la Loi sur la protection des ouvrages publics.

262   Il faut aussi considérer le grand public. Je ne suis pas d’accord avec le Ministère quand il dit que les intérêts des parties prenantes – autres que la principale partie prenante, à ses yeux, qui était présumément le Service de police de Toronto – étaient modérés. En appuyant le recours à la Loi sur la protection des ouvrages publics, par le biais du Règlement 233/10, le Ministère promouvait un texte de loi qui limitait substantiellement les droits et libertés des personnes qui vivaient et travaillaient dans la zone de sécurité, ainsi que ceux des manifestants et des gens qui voulaient entrer dans la zone de sécurité. À l’approche du sommet du G20, le Ministère a surveillé avec attention les sites Internet. Il savait pertinemment que les manifestants recevaient des conseils qui, s’ils étaient suivis après la promulgation du Règlement 233/10, pourraient les conduire à l’emprisonnement alors qu’ils ignoraient tout de ce danger. Exception faite des initiés au gouvernement de l’Ontario, seuls quelques membres du Service de police de Toronto savaient que les règles du jeu avaient changé et qu’ils détenaient maintenant les cartes « Allez directement en prison ». Le silence gardé par le Ministère dans ces circonstances, même une fois que le Règlement 233/10 a été rendu public et communiqué discrètement sur le site des Lois-en-ligne de l’Ontario, est inadmissible.

 

Je me suis battu contre la Loi et la Loi a gagné

263   Techniquement parlant, le Règlement 233/10 n’était pas « secret ». Il était conforme aux exigences juridiques sur la communication publique des règlements. Toutes les formalités avaient été respectées. Mais une distinction s’impose entre se conformer au strict minimum des exigences techniques et agir avec prudence, ou même agir de manière juste. Une cause fondée sur la Charte illustre ce point – R. v. Yusuf[53].

264   Comme beaucoup de membres de sa communauté somalienne, M. Yusuf fumait du khat, plante africaine aux propriétés narcotiques. Historiquement, de nombreux Somalo-Canadiens utilisaient régulièrement cette plante lors de rencontres sociales ou religieuses. M. Yusuf importait ouvertement du khat au Canada, car c’était tout à fait légal – jusqu’au 14 mai 1997, quand un règlement a été pris en application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, rendant le khat illégal. Le règlement est paru dans La Gazette du Canada, mais le gouvernement fédéral n’a rien fait d’autre pour annoncer ce changement. Il aurait très bien pu informer les groupes communautaires – les groupes qui aidaient les immigrants somaliens à comprendre la loi au Canada – mais il ne s’en est pas donné la peine. Il s’est tout simplement contenté de publier officiellement ce règlement comme d’habitude. Huit jours après l’adoption du règlement, M. Yusuf est allé prendre livraison d’un colis de khat à l’aéroport, sans avoir aucunement connaissance de ce changement. Il a été arrêté et accusé d’importer une drogue contrôlée. Le juge chargé du dossier a jugé que l’accusation était injuste et il l’a rejetée. Il a déclaré que, lorsqu’un règlement a un effet particulier sur un groupe identifiable et qu’il existe des moyens de communiquer avec lui, il est injuste de s’en remettre à la publication de ce règlement dans les registres officiels. Fondamentalement, la justice exige qu’un avis suffisant soit donné et, dans ce cas, le gouvernement aurait dû mieux faire pour donner un avis suffisant. L’accusation a été rejetée.

265   Certes, la décision dans l’affaire Yusuf est controversée, car c’est l’une des rares exceptions au précepte que nul n’est censé ignorer la loi. Mais le résultat est intéressant et justifié. Il est tout à fait fantaisiste de croire que les membres du public lisent les Lois-en-ligne ou les gazettes juridiques. Ce n’est en rien le cas. Même les avocats ne passent pas leur temps à lire ces documents profondément ennuyeux, sauf s’ils ont une raison bien précise d’y faire des recherches. Il ne faut donc pas s’étonner que l’adoption du Règlement 233/10 soit passée en grande partie inaperçue. La presse – qui a pour rôle de faire avancer la démocratie en parlant des questions d’importance publique – n’a pas prêté attention à la parution du Règlement 233/10. Il n’est pas raisonnable pour le Ministère d’avoir présumé que les journalistes penseraient à chercher un règlement pris en application d’une loi obscure.

266   On peut donc croire justement que, jusqu’au 24 juin, quand M. Vasey a eu le malheur de se retrouver pris au piège de la Loi, la plupart des manifestants ignoraient tout de l’existence du Règlement 233/10.

267   Apparemment, il y a eu une rupture de communications entre les partenaires du GIS, ce qui a contribué à la confusion et à l’absence de divulgation du Règlement 233/10. Mais je crois que le Ministère avait la responsabilité personnelle de s’assurer que le public, qui ne se doutait alors de rien, serait informé de la portée du Règlement – pas simplement après l’erreur d’interprétation faite par le chef de la Police de Toronto et après la reprise de cette erreur par les médias – mais dès la promulgation du Règlement, et même de préférence alors qu’il était encore au stade de l’étude. Le premier ministre et l’ancien ministre ont reconnu que davantage aurait pu être fait pour s’assurer de faire connaître la portée réelle du Règlement 233/10, après l’erreur d’interprétation. Comme l’ont maintenant concédé certains dirigeants ministériels, la situation n’était pas « tout à fait normale ». Le Règlement 233/10 représentait un recours sans précédent à une loi en grande partie inconnue, qui conférait des pouvoirs exceptionnels. Il exigeait donc une campagne de sensibilisation publique proactive pour informer pleinement le public, pas une stratégie discrète et réactive de communications.

268   Le manque d’avis adéquats a eu d’autres effets pervers. Que j’aie raison ou non à propos de l’autorisation d’émettre le Règlement 233/10 ou à propos de sa validité constitutionnelle, il aurait dû pouvoir être contesté avant qu’il ne prenne fin et ne devienne sans objet. L’occasion aurait dû exister de le contester en justice. Il est problématique de défendre avec succès les revendications de libertés civiles dans les causes relatives à des manifestations. Lors de manifestations, les gouvernements et les policiers peuvent adopter des stratégies illégales afin de circonscrire les protestations, car le temps que la justice se mette en marche, ces stratégies illégales auront porté fruit. Les manifestations seront finies et les stratégies illégales auront été suivies. On trouve une allusion à cette tactique dans un courriel interne de l’OPP, dans lequel un surintendant de cet organisme dit vouloir repousser le recours à la Loi sur la protection des ouvrages publics durant une période critique, étant donné que cette Loi ne pourrait probablement pas résister à une contestation constitutionnelle une fois appliquée. Par ailleurs, il arrive souvent que des personnes soient arrêtées dans des circonstances litigieuses au cours de manifestations, mais qu’aucune accusation ne soit portée contre elles ensuite, si bien que la légalité des arrestations ne prête pas à litige. Si, en vue de manifestations imminentes, un gouvernement veut édicter un texte de loi spécial et temporaire, aux limites de la validité constitutionnelle, il devrait faire tout son possible pour faciliter la contestation de ce texte de loi, et notamment s’assurer qu’il est très largement connu. Il est déraisonnable de se contenter de publier un règlement sur le site des Lois-en-ligne et dans les gazettes juridiques.

269   Les manifestants et les défenseurs des libertés civiles ont contesté l’utilisation des dispositifs acoustiques à longue portée quand ils ont appris qu’ils seraient peut-être déployés au sommet du G20. L’occasion aurait dû aussi leur être donnée, à l’avance, de lutter contre toute atteinte possible du Règlement 233/10 au droit constitutionnel de liberté d’expression et de protéger les manifestants contre les arrestations arbitraires.

270   Ne pas faire publiquement connaître les pouvoirs conférés par ce Règlement spécial allait aussi à l’encontre des attentes raisonnables du public. Cette loi subvertissait l’ordre normal des choses et contraignait légalement les individus à donner leur nom, à indiquer la raison pour laquelle ils voulaient entrer dans une zone de sécurité et à se laisser fouiller – faute de quoi ils commettraient une infraction. Le Règlement enlevait aussi aux gens la possibilité de renoncer à leur tentative d’entrer dans la zone de sécurité pour ne pas avoir à s’identifier, à répondre aux questions de la police ou à se laisser fouiller. De plus, il conférait à la police des pouvoirs inhabituels d’arrestation. Le fait que ces répercussions du Règlement 233/10 n’aient pas été communiquées publiquement a créé un piège pour les manifestants qui ont tenté de revendiquer leurs droits légaux.

271   Les manifestations se font intrinsèquement dans un climat d’instabilité. Il est donc critique que les pouvoirs policiers soient clairement définis, pour minimiser les possibilités de contestation par les manifestants croyant que la police agit illégalement. Tous les efforts possibles devraient être déployés pour minimiser la tension et la méfiance. Les risques de tension et de méfiance présentés par la réunion du G20 auraient dû paraître évidents. Le gouvernement de l’Ontario aurait dû réduire ces risques en s’assurant que des renseignements complets et exacts étaient diligemment communiqués.

272   Un peu comme dans l’affaire Yusuf, le contexte tout à fait unique de l’adoption du Règlement 233/10 rendait entièrement possible sa communication publique. Il existait des organismes connus de manifestants à contacter. Chose plus importante encore, il s’agissait d’un événement spécial qui allait se tenir dans une zone géographiquement limitée. Comme l’ont prouvé les efforts faits par la Ville de Toronto pour assurer la bonne circulation routière lors de l’événement, les journaux publics et communautaires de même que les brochures d’information sont de bons moyens d’informer les intéressés. Le Règlement 233/10 et toutes ses répercussions auraient dû être très largement portés à la connaissance du public. Il n’était pas raisonnable, dans le contexte des manifestations du G20, de ne pas l’avoir fait.

 

Conclusion

273   Je conclus donc, conformément au paragraphe 21 (1) de la Loi sur l’ombudsman, que le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a promu un règlement qui « paraît avoir été contraire à la loi » et « non conforme aux dispositions de toute loi ». Il était déraisonnable d’appuyer l’adoption de ce Règlement, étant donné qu’il conférait à la police des pouvoirs inutiles et constitutionnellement suspects dans le contexte explosif et confrontationnel des inévitables manifestations publiques. De plus, le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a déraisonnablement et injustifiablement omis de s’assurer, avant la promulgation de ce Règlement, que les intéressés seraient dûment consultés et que les citoyens de cette province auraient connaissance des pouvoirs policiers hautement exceptionnels ainsi conférés.

274   Le gouvernement a fait savoir que la Loi sur la protection des ouvrages publics ferait l’objet d’un réexamen, avec l’entière participation des intéressés. C’est une mesure bienvenue, qui va dans la bonne direction. Je fais deux recommandations précises qui, je le crois, devraient être considérées dans le cadre de ce réexamen.

275   Ma troisième recommandation vise le fait que le Ministère ait omis de veiller à la bonne divulgation d’un règlement qui renforçait effectivement les pouvoirs policiers. En général, les pouvoirs policiers sont conférés par la promulgation d’un texte de loi, dans l’ouverture et la transparence, avec l’obligation redditionnelle inhérente à un système démocratique de gouvernement. Il y a un danger réel et insidieux à recourir à une législation subordonnée, adoptée à huis clos, pour renforcer les pouvoirs de la police et je crois que cette pratique devrait être évitée à tout prix. Toutefois, je reconnais qu’il peut y avoir des circonstances rares, urgentes et pressantes justifiant le recours à un règlement qui renforce les pouvoirs de la police. Il est impératif alors d’en aviser correctement le public. En fait, chaque fois que des pouvoirs policiers sont renforcés, plus particulièrement dans le contexte de manifestations, je considère que le public devrait en être pleinement informé.

 

Recommandations

Par conséquent, je fais les recommandations suivantes :

Recommandation 1

Le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels devrait prendre des mesures pour revoir ou remplacer la Loi sur la protection des ouvrages publics. Si le gouvernement veut revendiquer le pouvoir de désigner des zones de sécurité pour protéger les personnes, il devrait créer une loi consolidée qui permettrait non seulement de protéger les ouvrages publics mais qui conférerait aussi l’autorité requise pour assurer la sécurité des personnes durant les événements publics, au besoin.

 
Recommandation 2

Le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels devrait déterminer si l’envergure des pouvoirs policiers conférés par la Loi sur la protection des ouvrages publics devrait être conservée, ou transférée dans une loi modifiée. Il devrait notamment considérer s’il est approprié de conférer à la police le droit d’arrêter les personnes à qui l’accès aux zones de sécurité a été refusé et s’il est approprié d’autoriser les gardiens et les agents de la paix à présenter des témoignages concluants, vrais ou faux, sur l’emplacement des périmètres de sécurité.

 
Recommandation 3

Le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels devrait concevoir un protocole qui prévoit la tenue de campagnes d’information publique quand les pouvoirs policiers sont modifiés par une législation subordonnée, surtout dans le contexte de manifestations.

 
Recommandation 4

Le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels devrait faire rapport à mon Bureau dans six mois sur les progrès qu’il aura accomplis dans la mise en œuvre de mes recommandations, puis tous les six mois jusqu’à ce que je juge que des mesures adéquates ont été prises en ce sens.



 

Réponse

276   Le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels a eu la possibilité de répondre à mes conclusions et recommandations préliminaires. Le 1er novembre 2010, le ministre nous a répondu, convenant que le Ministère aurait pu, et aurait dû, faire mieux quand il a promulgué le Règlement 233/10. Il a indiqué qu’à l’avenir, le Ministère veillerait à mieux s’assurer que le public ontarien est informé plus pertinemment des changements de réglementation de cette nature.

277   Le ministre a aussi confirmé, au nom du gouvernement, son plein engagement à donner suite à toutes mes recommandations en temps opportun.

278   Il a souligné que M. McMurtry considérerait mon Rapport et mes recommandations lors de son examen des dispositions de la Loi sur la protection des ouvrages publics et il s’est proposé personnellement, à titre de ministre, de communiquer clairement et promptement au public tout règlement ou toute autre modification de la Loi qui pourrait survenir avant qu’il ne reçoive les conseils de M. McMurtry.

279   Une copie de la réponse du ministre est donnée à l’Annexe E.

280   Je suis satisfait de la réponse du ministre à mon Rapport et je surveillerai les progrès faits par le Ministère dans la mise en œuvre de mes recommandations.

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André Marin
Ombudsman de l’Ontario

 

Annexes

Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletAnnexes (PDF accessible)


[1] Certaines personnes ont consenti que notre Bureau publie leur nom dans ce rapport, mais beaucoup ont préféré conserver l’anonymat. Nous avons changé le nom de cette personne pour des raisons de confidentialité.
[2] La Police régionale de Peel a succédé au Service de police de North Bay, en tant que partenaire du GIS, quand le lieu de réunion du G8 est passé de North Bay à Huntsville.
[3] Entrevue de Julius Grey (14 octobre 2010), The National, CBC Television, Toronto.
[4] Le 5 octobre, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police avait reçu plus de 320 plaintes. Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletEntrevue de Gerry McNeilly (directeur du Bureau) faite par Paul Jay (5 octobre 2010), The Real News, The Real News Network.
[5] Projet de loi 111, Loi exigeant la tenue d’une enquête publique sur les mesures prises et les dépenses engagées par le gouvernement dans le cadre du Sommet du G20, 2e session, 39e Assemblée législative, Ontario (première lecture : 5 octobre 2010). Projet de loi 121, Loi exigeant la tenue d’une enquête publique sur les mesures prises et les dépenses engagées par le gouvernement dans le cadre du Sommet du G20, 2e session, 39e Assemblée législative, Ontario (première lecture : 19 octobre 2010; deuxième lecture : rejeté avec dissidence, 4 novembre 2010).
[6] Le nom de cette personne a été changé, par souci de confidentialité.
[7] Association canadienne des libertés civiles, « Protection des libertés civiles et des droits de la personne au G20 : Exposé des préoccupations par l’ACLC », 21 mai 2010, à 3 [Exposé de la situation, ACLC].
[8] L’acronyme MUSH désigne le secteur public qui comprend les municipalités, les universités, les écoles, les hôpitaux, la police et les sociétés d’aide à l’enfance.
[9] Cette définition a été tout d’abord incluse par une référence à la définition de « voie publique » dans la Loi sur l’aménagement des voies publiques, L.R.O. 1927, c. 54, puis a été modifiée et expressément définie dans l’article 1 de la Loi sur la protection des ouvrages publics.
[10] Cet énoncé est maintenant donné, avec des modifications mineures, au paragraphe 3 (a) de la Loi sur la protection des ouvrages publics, L.R.O. 1990, c. P. 55 [Loi sur la protection des ouvrages publics].
[11] Cet énoncé est maintenant donné, avec des modifications mineures, au paragraphe 3 (b) de la Loi sur la protection des ouvrages publics.
[12] Cet énoncé est maintenant donné, avec des modifications mineures, au paragraphe 3 (c) de la Loi sur la protection des ouvrages publics.
[13] Cet énoncé est maintenant donné, avec des modifications mineures, à l’article 5 de la Loi sur la protection des ouvrages publics.
[14] Cet énoncé est maintenant donné, avec des modifications mineures, à l’article 4 de la Loi sur la protection des ouvrages publics.
[15] Cet énoncé est maintenant donné, avec des modifications mineures, au paragraphe 6 (b) de la Loi sur la protection des ouvrages publics.
[16] Ces énoncés sont maintenant donnés, avec des modifications mineures, aux paragraphes 6 (a) et 6 (c) de la Loi sur la protection des ouvrages publics.
[17] Le texte de la Loi sur la protection des ouvrages publics, dans sa forme actuelle, se trouve à l'Annexe B de ce rapport.
[18] R. v. Campanella, [2005] O.J. No. 1345 (Ont. C.A.) (QL) [R. v. Campanella]
[19] L’Alberta, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador, l’Île-du-Prince-Édouard, le Québec et la Saskatchewan ont tous des lois qui définissent les « ouvrages publics » dans certains objectifs. Au palier fédéral, le Règlement concernant les actes nuisibles sur des ouvrages publics, C.R.C., c. 1365, pris en application de la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, L.C. 1996, c. 16, réglemente la conduite en rapport aux ouvrages publics définis.
[20] Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, L.C., 1991, c. 41, art. 10.1 (2).
[21] Canada, Commission des plaintes du public contre la GRC, Rapport Intérimaire de la commission – APEC (21 juillet 2001) à 3 (commissaire : Ted Hughes, C.R.) [Rapport Intérimaire de la commission – APEC].
[22] Voir la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, c. P.15. art. 42.
[23] Knowlton c. La Reine, [1974] R.C.S. 443 (C.S.C).
[24] Ibidem à 447.
[25] Ces obligations découlent de traités internationaux comme la Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletConvention de Vienne sur les relations consulaires, 24 avril 1963, Recueil des traités des Nations Unies, 596 UNTS 261 (entrée en vigueur le 19 mars 1967) : Recueil des traités des Nations Unies et la Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletConvention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, 14 décembre 1973, 1035 UNTS 167 (entrée en vigueur le 20 février 1977) : Recueil des traités des Nations Unies.
[26] Supra note 20, paragraphe 10.1 1).
[27] Supra note 20, paragraphe 10.1 4).
[28] Pour plus de clarté dans ce rapport, ce responsable sera désigné comme le commissaire de la Sécurité communautaire.
[29] Durant son examen du Règlement, le Ministère a consulté le ministère des Affaires municipales et du Logement car les circonstances faisaient intervenir un service de police municipal, et il a communiqué avec le ministère du Développement économique et du Commerce pour déterminer si des entreprises commerciales seraient touchées, exigeant alors que le Règlement soit inscrit au Registre de réglementation de l’Ontario.
[30] Selon un sommaire interne des médias fait par l’OPP, le chef de police a fait référence au Règlement en disant que c’était une loi du GIS, dans une entrevue à CFTO le 30 juin. Selon un article du Toronto Star le 10 juillet, le GIS avait demandé au chef de police de faire la demande de désignation (Robyn Doolittle, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletChain of command questioned in G20 » The Toronto Star (10 juillet 2010), en ligne.
[31] Adam Radwanski, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletA Timeline on the G20 Five-metre rule that didn’t exist » The Globe and Mail (1er juillet 2010), en ligne.
[32] Par exemple, vers 22 h ce soir-là, un responsable de la GRC qui faisait partie de l’équipe a demandé à un autre membre de l’équipe : « Tu y comprends quelque chose à cette Loi? »
[33] Les règlements proposés peuvent être inscrits au Registre de réglementation de l’Ontario s’ils présentent de possibles répercussions sur les entreprises commerciales de la province et s’il est de l’intérêt public de les communiquer avant leur approbation par le Conseil des ministres. Nous avons été informés que le Ministère avait jugé que le Règlement 233/10 ne s’inscrivait pas dans cette catégorie de règlements.
[34] Adam Radwanski, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletWhen It Comes to Summit Security, Police Answer to No One » The Globe and Mail (23 juin 2010), en ligne.
[35] Canadian Civil Liberties Association v. Toronto (City) Police Service, [2010] O.J. No. 2715, 2010 ONSC 3525; raisons supplémentaires à [2010] O.J. No. 2716, 2010 ONSC 3698 (Ont. Sup. Ct.) (QL).
[36] Par la suite, le Ministère a déterminé qu’il y avait eu deux arrestations en vertu de la Loi.
[37] Maria Babbage, « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletDalton McGuinty admits he could have done better but offers no apology for G20 confusion » The Toronto Star (2 juillet 2010), en ligne.
[38] « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletNo more G20 Summits in Toronto: McGuinty » Canadian Press (7 juillet 2010), en ligne.
[39] Kate Allen « Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletPolice made mistakes in G20 tactics, Chief admits for first time » The Globe and Mail (3 septembre 2010), en ligne.
[40] L’ancien ministre a été muté au poste de ministre des Affaires municipales et du Logement à compter du 18 août 2010.
[41] R. v. Campanella, supra note 18.
[42] Irwin Toy Ltée. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 S.C.R. 927, au para. 42.
[43] Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants – Section Colombie-Britannique [2009] 2 S.C.R. 295, au para. 27.
[44] Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] R.C.S. no 63 (QL).
[45] Supra note 42, au para. 42.
[46] R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.
[47] Supra note 23.
[48] Les paragraphes 6 a) et 6 b) accordent également le pouvoir d’adopter des règlements en vertu de la Loi. Ni l’un ni l’autre ne s’applique ici. Le paragraphe 6 a) fait référence aux règlements relatifs aux gardiens. Le paragraphe 6 b) permet de définir « les abords » d’ouvrages publics; le Règlement 233/10 ne définit pas « les abords » d’ouvrages publics; il se propose de désigner les ouvrages publics eux-mêmes.
[49] Loi de 2006 sur la législation, L.O. 2006, c. 21, Annexe F, art. 33.
[50] Assemblée législative de l’Ontario, Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletRèglement de l’Assemblée législative de l’Ontario (Ontario : Greffier de l’Assemblée législative, janvier 2009), alinéas 108 (13) (i) et (ii), en ligne.
[51] R. c. Grant, [2009] C.S.C. no 32 (QL).
[52] Rodriquez v. British Columbia (Attorney General) [1993] 3 R.C.S. 519 à 594.
[53] R. v. Yusuf [1998] O.J. No. 3975 (Ont. Prov. Ct.).